• Hazya arrive tout juste. Deux heures d'avance, ses sacs sur les bras qui pèsent des tonnes et une envie folle de se pauser, se réchauffer et avaler un café brûlant. Juste avant...

     

    Hazya jette un regard circulaire autour d’elle et s’étonne : “Les rues et les trottoirs sont vides de monde. A croire, qu’ils sont tous passés sur l’autre rive au petit matin. Restent les vieux et les chiens. Et moi, au milieu de tout cela.”
    Elle traverse la rue, s’approche du troquet et pousse la porte doucement. Quelques retraités au comptoir sirotent ce qu'il y a dans leurs tasses à grand renfort de petits bruits d'aspiration. Elle aperçoit une petite dame toute grise et ronde, qui croque à pleines dents dans un croissant dégoulinant de café. Hazya repère une table au fond du bar et s’installe, empilant toutes ses affaires sur la chaise vacante à côté d’elle. Les habitués se retournent d’un même élan, qui se voudrait discret. Le patron l’interpelle sans bouger ses grosses fesses du mur.  Arrimé au comptoir, il attend sa commande. Sans surprise :
    - un café, s’il vous plaît.
    Hazya sait déjà qu’il ne sera pas bon. L’odeur du robusta emplit toute la pièce. “Bien sucré et avec un peu de chance, il arrivera bien à passer. Qu’il soit bien chaud et fort ! Le reste, je m’en moque.” Elle sort l’un des deux livres qu’elle a pu prendre juste avant qu’ils… enfin, juste avant.
    Ne pas penser à la Route des Flandres, restée sur l’étagère de sa bibliothèque et que personne ne lira plus jamais. Oublier les notes dans la marge, les passages surlignés, lus et relus, à user les yeux, user les mots, à trouer les pages de papier et le cœur, déjà si fins. “Les chiens ont mangé la boue.” Et voir les gueules à faire peur avec leurs crocs acérés broyer la boue qui suinte de chaque côté des babines. “Leurs dents froides et blanches de loups mâchant la boue noire dans les ténèbres de la nuit”. Dans les ténèbres de la nuit, qui les veillera les loups, sans les yeux qui courent sur les mots de Claude Simon, enfermés à jamais dans les pages des éditions de Minuit ? Qui les maintiendra en vie ?
    Ne plus penser à la Route des Flandres. Ouvrir Schopenhauer. Se dire qu’il faut avancer dans la lecture imposée. Se laisser séduire par ce monde comme volonté et comme représentation. Sentir dans sa chair la réalité du vouloir-vivre ! Se dire Schopenhauer et oublier Claude Simon, oublier la boue, oublier les chiens et avancer. Un pas. Et puis l’autre. "Avancer, Hazya ! Avancer…"

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  • Don Benvenuto, tu pouvais pas allonger le pli ? Si c'est du vélin qui manquait, fallait dire ! Parce que si c'est ça, y a pas à ergoter, je veux bien faire un casse aux archives départementales du coin et dégoter quelques vieilles peaux à une ou double queheux ! Pas de soucis ! Il suffira de gratter un peu et hop ! On repart sur la suite de l'histoire … J'ai pas mes entrées, mais on peut toujours essayer ! Avec toi dans les basques, cela devrait le faire ! Sinon pour pas jouer les larrons, voir à leur proposer un deal : en échange je veux bien négocier un prêt au denier seize (quatre, c'est trop pour ma prébende, je voudrais pas que mes hoirs fassent la gueule). Parce que j'ai vraiment, vraiment, vraiment envie de continuer l'aventure...

    Je sais ce que tu penses, j'ai bien pigé le message :

     

    « Et vous, oui, vous ! mon très cher lecteur ! Vous vous prélassez bien au chaud, sur votre coussiège favori ou dans la cathèdre de votre cabinet de lecture, en tournant d'une main indolente les pages de ce volume où je risque bien de perdre ma santé, ma vie, sans compter ma réputation. Est-ce que vous mesurez seulement ce que j'ai sué, d'angoisse et de labeur, sur l'ouvrage que vous avez le culot de parcourir comme un conte divertissant ? Vous vous rendez compte de ce que je risque, à vous dévoiler ainsi les dessous de la politique ciudalienne ? Vous croyez peut-être que je fais ça uniquement par plaisir ? Ou par malveillance ? Vous croyez qu'on accouche d'un pavé pareil seulement pour l'agrément de cafarder ?

    Tant de légèreté, tiens, ça me dégoûte !"


    Je comprends bien, mais, faut pas la jouer comme ça ! Moi, je savais pas ! Je suis tombée sur Marple et sa critique d'enfer et hop ! Deux trois clics sur les moutons électriques, pour un prix modique (t'es sûr d'avoir bien converti ?), et c'était dans la liseuse ! En plus quand on s'allie à des pointures comme Arnaud Cremet pour vous pondre une couverture de dingue ! Faut pas nous faire les yeux fris du mec étonné !

     

    Puis quand je me suis rendue compte que j'étais ferrée, c'était trop tard, j'étais déjà fichue !

     Alors, si j'ai le droit qu'à une question, une seule, je vais pas en faire des rallonges, ni babiller pendant des plombes. Cela va être clair, net, précis :

    « - C'est quand que tu reviens ? »

    ¤ ¤ ¤

     

    Parce qu'on ne s'en lasse pas, Benvenuto et Gagner la guerre, mis en lumière par son auteur, avec un petit clin d’œil pour les Imaginales au passage, par la librairie Mollat...

     

    ¤ ¤ ¤

    Gagner la guerre - Jean-Philippe Jaworski -

    4ième de couv

     

    Au bout de dix heures de combat, quand j’ai vu la flotte du Chah flamber d’un bout à l’autre de l’horizon, je me suis dit : "Benvenuto, mon fagot, t’as encore tiré tes os d’un rude merdier."
    Sous le commandement de mon patron, le podestat Leonide Ducatore, les galères de la République de Ciudalia venaient d’écraser les escadres du Sublime Souverain de Ressine. La victoire était arrachée, et je croyais que le gros de la tourmente était passé. Je me gourais sévère.
    Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire.
    Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt mon rayon…

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  • Quand Elle & Elle devient Elle & Elles...

    Fred Alie - Fille - :

    "Petite, quand j'avais de la fièvre,
    je me blottissais dans tes bras, et je fermais les yeux.
    Je m'endormais paisible, je savais...
    Aujourd'hui c'est étrange, je ne dors plus ainsi.
    J'ai toujours comme cet œil ouvert à l'intérieur de moi.
    Il ne se ferme jamais, ne se repose jamais.
    Je le trimbale partout où je vais.
    Il m'emmène partout où il va...
    ça me fait sourire, parce que, parfois, je n'y vois plus très clair
    pour quelqu'un qui a un œil dans le corps.
    Y'a comme un souffle...
    Il observe ce monde-là, sans relâche.
    Je voudrais respirer mieux, mais avec cet œil, coincé, là, près du cœur...
    Tout cela résonne, et pourquoi je ne cesse d'y penser, je ne cesse...
    850 millions de personnes ont faim,
    Haïti ti payi et les autres,
    il y a la peur qui nous dévore les entrailles de l'intérieur,
    les trous dans l'âme, les vagues d'amour, les pépites d'or
    que l'on trouve par hasard sous une poignée de cailloux,
    et la peine..."

    Marijosé Alie -Mère - :

    "Je peux te murmurer qu'il faut tendre la main
    plus loin que le bras
    que tout au bout du geste il y a le désir
    et que l'ultime instant nous fait souffrir.
    Mais t'ai-je dit la colère de vieillir
    de ce corps qui s'en va sans que j'y puisse rien,
    rien qu'épier sa recomposition en cherchant un dessin ?
    T'ai-je dit les plis que l'on ne compte plus
    les cheveux qui un à un abandonnent la vie.
    Et la muse fragmentée qui joue les mémoires malades...
    T'ai-je dit qu'on en pleure de ne pas comprendre ?"

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  • Quelque part dans la nuit des chiens - Sandrine Bourguignon - Tu vois c'est rien que ça
    c'est rien que de la folie
    enfermer pour sécuriser
    soigner contre son gré
    alors tu écris
    entre en résistance
    Outre-noir sans mémoire
    fausseté sur les mots
    brossés dénaturés
    en HP jeté-e-s là
    blanches et blasées
    Quelque part
    dans la nuit
    des chiens

    Sandrine
    Bourguignon

    Tu vois c'est rien que ça
    c'est rien qu'un boulot
    t'es là derrière mon dos
    les mains crispées
    brûlées par le thé
    à faire semblant d'écouter
    pendant que je crache
    haines et souffrances
    tu panses

    Fatima

    Tu vois c'est rien que ça
    c'est rien que des mots
    des silences et des non-dits
    qui gueulent à chialer
    à me faire cramer la peau
    le crâne à vif
    moitié de cheveux fondus
    qui me tuent

    Antony

    Tu vois c'est rien que ça
    c'est rien que l'eau salée
    le matin dans la gorge
    coulent quarante ans
    sans embruns
    l'oeil absent aux aguets
    veille et vacille
    Monsieur Zed
    toujours en vie

    Cyclope

    Tu vois c'est rien que ça
    c'est rien qu'un livre offert
    pour mon anniversaire
    que j'ai pas su lâcher
    écorchée par les mots
    à distance vouloir rester
    c'est sans compter
    les yeux rivés s'accrochent
    aux pages qui filent
    et tissent la vie
    de Claire et ceux-nous-autres écorchés
    paumés comme des chiens
    Quelque part
    dans la nuit

    Dixie pour dire Ellane Merci

    ¤ ¤ ¤

    Quelque part dans la nuit des chiens - Sandrine Bourguignon -

    4ième de couv

     

    Claire est psychologue, elle vient de rencontrer un nouveau patient. Antony a dix-neuf ans, l'âge de l enfant qu'elle n a pas eu. Celui-là, Claire a décidé de le sauver, comme on ramasse les morceaux. Mais sur la route, les débris. Les siens. Les leurs. Les nôtres. Autour d Antony, Monsieur Zed, le Cyclope, Fatima et Papillon repeuplent ce désert asilaire de leur forêt mentale, labyrinthe de toutes ces vies qu'on fracasse contre les murs de la nuit sécuritaire. Claire y abandonne peu à peu ses amours, son enfance et ses ratages, dans un récit tout en pudeur et en retenue, traversé de fulgurances qui viennent bousculer nos indifférences. Ce premier roman sait allier dans un équilibre rare la révolte politique et citoyenne avec la sensibilité des intimités blessées.

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  • "Est-ce que ça pourra te suffire, à toi l'enfant à venir ?
    Juste le pire de nous deux."

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