• Chroniques des ombres - Pierre Bordage -Premier livre lu de cet auteur découvert dans le cadre du challenge Pierre Bordage sur Babelio et une chose est sûre, ce ne sera pas le dernier. 

    J’ai adoré ce livre ! J’ai pesté à l’idée de devoir le lâcher pour aller bosser, accessoirement dormir, puis fêter la triste fin de mes illusions 2015, sans manquer d’applaudir aux nouvelles qui se sont pointées avec autant d’entrain que les anciennes ont mis à mourir aux derniers coups de minuit...

    Alors, revenons-en aux chroniques des ombres. Par où commencer ?
    - L’histoire : foisonnante de personnages aussi divers qu’intéressants, bien ficelée, complètement addictive... J’aime pas vraiment les résumés (ni trop les lire, ni les écrire), mais pour faire court : Nous découvrons ce qu’est devenu le monde à la suite d’une catastrophe nucléaire. Une partie de la population s’est réfugiée à l’intérieur de cités (NyLoPa est la principale, mais loin d’être la seule), où les hommes sont pucés (comme mes deux chats ou ces salariés suédois pour faire des photocop et manger gratos à la cafét, cool !) et les faits et gestes de chacun surveillés et sanctionnés à la première échappée belle (nous avons assez défilé pour la sécurité, on va pas pleurer sur la liberté !).
    L’autre partie a subi les rayonnements nucléaires, les mutations génétiques et s’est divisée en clans qui, vu des cités, ne sont que des ramassis de vestiges d’humanité voués à la barbarie, la violence et la mort à court terme, dans un combat pour la survie que n’aurait pas renié un Darwin ou un Nietzsche. Vu des horcites, c’est plus complexe, mais je vous laisse découvrir.
    Donc, ces deux parties de monde, se retrouvent confrontées à une étrange vague de meurtres, aux proportions frôlant le génocide. Les fouineurs, agents spéciaux d'un FBI high tech, sont à cran pour mettre fin à ces tueries de masse (du côté « cités », bien sûr, pour les « horcites », tout le monde s’en fout ! Sauf les principaux concernés, bien sûr, cela va de soi...).

    Mais au delà du roman et de la fiction, il y a ce à quoi Pierre Bordage veut nous faire réfléchir : la place de l’individu humain dans les institutions qui, sous couvert de démocratie et d’intérêt sécuritaire, nous font accepter un recul de nos libertés et de nos libre-arbitres : L’avènement de l’oligarchie au détriment de la démocratie comme point d’orgue de cette grande mystification.
    Les dérives de cette course au progrès technologique et ce désir d’absolu : la pureté, l’intelligence, la performance à tout prix dans des sociétés où il n’y a plus de place pour la contingence et le hasard : tout ne peut être que nécessité et déterminisme, et exit la différence et les accidentés de la vie. Pas de déchets dans ces sociétés là, que de la matière première efficace et fonctionnelle !
    Certaines scènes où les habitants de NyLoPa défilent dans les rues pour réclamer plus de sécurité sont l’exacte réplique de ce que nous pouvions voir il y a encore quelques mois dans les rues de Paris ou d’ailleurs. Je le sais, j’y étais !
    J’arrête là, mais il y aurait encore beaucoup à dire...

    Et on fait quoi maintenant, Pierre ?
    On se coltine les 750 pages des chroniques et on choisit son camp ! (oups ! Désolée, faut croire que je n’en suis pas sortie indemne...) / On reste éveillé et on se dit que l’intelligence, le savoir c’est bien, mais que l’imagination au service de la réflexion, c’est pas mal non plus... C’est la clef de toutes les grandes découvertes et des hypothèses scientifiques les plus folles, non ?
    Puis on s’attache aux pourquoi, comment plus qu’aux combien et parce que :
    Pourquoi nous en sommes arrivés là ? Comment on peut espérer s’en sortir ?
    Plutôt que :
    C’est pas le tout, mais combien ça va (me) coûter ces idées à la con et combien ça va (me) rapporter d’aller au charbon ? Parce que sinon, c’est pas la peine d(e m)’investir...

    - C’est comment déjà la formule ?
    - Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
    - Merci ! J’avais failli oublié...

    ¤ ¤ ¤

    Chroniques des ombres - Pierre Bordage -

    4ième de couv

     

    Après la guerre nucléaire, une pollution mortifère a confiné la partie privilégiée de la population mondiale dans des mégapoles équipées de filtres purificateurs d'air. La plupart des capitales sont désormais regroupées en Cités Unifiées. NyLoPa, la plus importante et stable des CU, réunit New York, Londres et Paris et compte 114 millions d'habitants. Les citoyens sont équipés d'une puce d'identité et la sécurité est assurée par une armée suréquipée qui fait office de police, les fouineurs, sorte de super détectives, un corps spécial composé d'individus sélectionnés pour leurs capacités analytiques.
    Dans ce monde en survie à l'équilibre plus que précaire, des centaines de meurtres sont soudain perpétrés, dans toutes les villes et en quelques minutes, par d'invisibles assassins. On soupçonne une secte d'en être à l'origine, mais l'enquête menée par les fouineurs va les plonger dans un enchevêtrement de complots et de luttes de pouvoir, tandis que les Ombres continuent de frapper de plus belle.
    Remontant la piste, les fouineurs vont être entraînés hors des cités, dans le 'pays vague', à l'extérieur du monde civilisé, le lieu inconnu de tous les dangers

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  • «On dit que la prière des mères fait des miracles. Dans mon livre elle tire ces garçons du néant. Il sont des victimes sur l'autel de notre douloureuse prise de conscience. Ce ne sont pas des héros mais des martyrs. Personne n'osera leur jeter la pierre. Nous sommes tous fautifs, nous avons tous eu part au mensonge : voilà le sujet de mon livre. En quoi le totalitarisme est-il dangereux ? Il nous rend tous complices de ses crimes. Les bons comme les méchants, les naïfs et les réalistes... »

    Ils y sont allés, pensant faire leur "devoir international" en libérant le peuple afghan et en leur apportant le progrès. de jeunes femmes, de jeunes hommes, tout juste majeurs, à peine sortis de l'adolescence, partis pour construire des écoles, des routes, planter des arbres, porter assistance aux "frères afghans"..., ont pris la réalité de ce conflit en pleine face. Ils découvrent :
    - l'hostilité des populations civiles
    - les mensonges des dirigeants
    - les mines qui laissent les corps en charpie
    - les balles des snipers tirées des montagnes
    - les hommes-troncs laissés sur le sable agonisants, soignés, exfiltrés, et toujours en vie quelque part au pays
    - les températures extrêmes (glacés la nuit, brûlés le jour)
    - la faim et la déshydratation
    - la solde dérisoire pour affronter l'enfer
    - les viols
    - les humiliations, tortures, coups et harcèlements infligés par les leurs
    - la drogue achetée en vendant le peu qu'ils ont : armes, équipement, munitions... ceux-là même qui les tueront !
    - les larmes des mères (russes et afghanes)
    - les corps des femmes et des enfants laissés derrière eux en représailles, sans aucun état d'âme.
    - les agonies qu'on abrège ou qu'on ignore
    - le matériel médical volé, vendu pour de l'alcool, de la drogue, des manteaux dernier cri et des parfums de Paris et toutes ces vies qu'il n'a pu sauver
    - les articles des journaux vantant leurs actions humanitaires et sociales, les spots d'actualité relayant la bonne parole : nulle part les armes, la terreur et le sang
    - la mode « afghane » qui fait fureur au pays
    - la Nation qui les abandonne, celle-là même qui les a exaltés avec les récits héroïques de la grande guerre patriotique
    - l'art de tuer, qui rend fort
    - le plaisir de tuer, qui rend fou
    - la mascarade du discours du héros dans les écoles, médailles accrochées à l'uniforme neuf
    - le mépris de ceux qui sont restés pour ceux qui sont partis
    - les cercueils de zinc qui reviennent scellés au pays, là où la tradition veut qu'ils restent ouverts jusqu'à la mise en terre
    -...
    Et encore et encore, jusqu'à l'écoeurement...

    Nous le lisons. Ils l'ont vécu. Et nous n'en pouvons déjà plus de toutes ces horreurs, toutes ces vérités qui nous ramènent à d'autres, toujours d'actualités, et encore bien vivantes aujourd'hui, relayées par des discours politiques, si peu différents que cela en est presque effrayants...

    Ce qu'il faut aimer la vérité ; ce qu'il faut aimer la part d'humanité en chaque Homme, pour aller au devant de tout cela : souffrances, récits, haine, procès, mépris, violences et menaces !
    Ce qu'il faut d'humilité et de courage, pour continuer, s'accrocher, et continuer encore... les louanges aux oreilles et le prix Nobel en poche.

    «J'écris, je note l'histoire contemporaine au quotidien. Des paroles vivantes, des vies. Avant de devenir de l'histoire, elles sont encore la douleur, le cri de quelqu'un, un sacrifice ou un crime. Mille fois je me suis posée la question : comment traverser le mal sans ajouter au mal dans le monde, surtout aujourd'hui quand il prend des dimensions cosmiques ?  A chaque nouveau livre je m'interroge. C'est mon fardeau. C'est mon destin. » Svetlana Alexievitch.

    ¤ ¤ ¤

    Les cercueils de zinc - Svetlana Alexievitch -

    4ième de couv

     

    Svetlana Alexievitch est l'écrivain qui a osé violer en 1990 un des derniers tabous de l'ex-URSS : elle a démoli le mythe de la guerre d'Afghanistan, des guerriers libérateurs et, avant tout, celui du soldat soviétique que la télévision montrait en train de planter des pommiers dans les villages alors qu'en réalité, il lançait des grenades dans les maisons d'argile où les femmes et les enfants étaient venus chercher refuge. Comme Svetlana le soulignait elle-même, l'Union soviétique était un État militariste qui se camouflait en pays ordinaire et il était dangereux de faire glisser la bâche kaki qui recouvrait les fondations de granit de cet État. Elle privait les jeunes gars revenus de la guerre de leur auréole d'héroïsme ; ces garçons qui avaient perdu leurs amis, leurs illusions, leur sommeil, leur santé, qui étaient devenus incapables de se refaire une vie, ces gamins, souvent estropiés physiquement, étaient devenus aux yeux de leur entourage, et cela dès le premier extrait paru dans la presse, des violeurs, des assassins et des brutes. La guerre en Tchéchénie, la nouvelle guerre en Afghanistan donnent à ce livre, paru pour la première fois chez Christian Bourgois éditeur en 1990, avant l'édition russe, une actualité terrifiante.

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  • "Ma vérité, je l'ai rapportée du combat dans un sac de cellophane... La tête, les bras, les jambes en morceaux séparés... La peau aussi..."

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  • "Moi je m'en suis pris plein la houle, des rincées bien salées sur le pont. Je peux vous dire que ça n'a jamais soigné personne. La déferlante de vos lois comme des vagues scélérates. On nous fout la tête sous l'eau depuis des siècles mais moi je suis fort en apnée, vous ne me noierez pas comme un chaton au fond d'un sac de jute.

    Je sais quand ça gîte.

    J'avais treize ans la première fois, la mer complètement saoule avec sa gueule ouverte, qui vous crache dessus qui s'engouffre et vous fout des trempes.

    La vorace une ogresse.

    Si elle ne m'a pas avalé vous n'êtes pas prêt de m'engloutir.

    Je viens du déluge et vos torrents de lois qui nous tabassent et nous régurgitent comme des arêtes coincées dans la gorge, c'est pacotille.

    Vous ne voyez que mes œuvres mortes mais sous la surface la carène c'est du solide."

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  • "Si tu reçois mon frère ces lettres de sable qui coulent obstinément c'est parce qu'il doit s'écrire la dignité qui nous tient lieu d'être vivant.
    Alors, nous allons tenir mon frère, cette poignée de sable qui coule entre nos mains.
    Nous écoutons son temps et comprenons la douleur de son sang.
    Aussi petit soit notre espoir aussi fragile soit notre chant grand sera demain cet arbre sous lequel nous parlerons ensemble à nos enfants.
    Et je si reçois mon frère ces larmes de sable qui coulent depuis si longtemps c'est parce qu'il doit se lire la vérité qui s'adresse aux vivants...
    Nous partageons le sable mon frère, comme le ciel partage les vents sans contraires, sans haines ni colères, Nomades de la Terre.
    On doit s'aimer mon frère, comme une promesse de pluie faite au désert.
    On doit marcher mon frère contre cette immense dune de pierres.
    On nous apprend à partager des tombeaux à nous d'inventer demain les mots qui sauront les refermer.
    Le silence des mots jette les morts si loin du repos.
    Alors, nous allons tenir mon frère, ni à genoux, ni face contre terre, ni tête contre des pierres, nous allons tenir mon frère à ce qu'en l'homme il reste toujours et encore de plus haut.
    Nous allons tenir l'un à l'autre, debout, mon frère, comme ces lettres à notre peau."

    Astrid Shriqui Garain

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