•   l’Homme qui mit fin à l’Histoire - Ken Liu -Je dois la découverte de ce petit livre d’un peu plus de cent pages à Aelinel, que je remercie encore pour cela. Pour tout vous dire, avant de lire sa chronique sur l’Homme qui mit fin à l’Histoire, j’ignorais tout de l’Unité 731 et des horreurs qu’elle a perpétuées sur une décennie, entre 1936 et 1945. Je ne vais pas m’étendre sur le détail des faits, car ce n’est pas là le propos du livre ; Ken Liu l’évoque, mais avec beaucoup de retenues : le but est de faire connaître, d’éveiller ou de réveiller les consciences par rapport à cet événement tragique et maintenu sous silence mais en aucun cas d’éditer un catalogue des horreurs rivalisant avec le pire des exactions nazies en ce domaine. Le peu qui est décrit laisse mesurer le degrés de cruauté et d’inhumanité...

     l’Homme qui mit fin à l’Histoire - Ken Liu -J’ai trouvé essentiel la manière dont l’auteur aborde ce fait historique : les questionnements multiples et pertinents sur cette inhumanité de l'homme, sur ce qu’est l’Histoire, le rôle du témoin, la force de la raison d’État qui balaie et broie les individus, éteint toute possibilité de réparations et de justice, là où même le souvenir est annihilé : Table rase sur le sujet et malheur à qui remontera toute cette fange à la surface des consciences et du présent !

    Pourtant, c’est ce que va entreprendre un couple de scientifiques (lui, d’origine chinoise, elle japonaise), en inventant une machine capable de remonter le temps et en permettant aux familles des disparus d’assister au déroulement des faits sur les lieux mêmes, comme on regarderait une scène en train de se jouer. Mais malheureusement, tout passé vécu est un passé perdu...

    En cherchant à donner une voix aux victimes d'une terrible injustice, il n'avait guère réussi qu'à en réduire certaines au silence, à jamais.

    J’ai aimé ce choix du témoin « proche », impliqué dans cette recherche de la vérité historique au détriment de l’expert, de l’historien ou du juriste assermenté. Je l’ai ressenti comme la volonté de replacer au cœur du débat, l’individu, la personne même, dans une société où l’homme n’est que secondaire, effacé et balayé par « le système », la raison d’État et sa machine à broyer les consciences…

    La souffrance des victimes relève-t-elle du domaine privé, ou participe-t-elle de notre histoire collective ?

    Beaucoup de questions se posent face à ce choix : quelle valeurs accordées au témoin et à son témoignage ? Quelle vérité peut-on espérer de personnes qui ne pourront-être neutres car forcément partiales ? Maîtriser les faits historiques avec ce voyage temporel, n’est-ce pas le meilleur moyen de mettre fin à l’Histoire et à toute découverte de la vérité historique ? Et ainsi faire la part belle au négationnisme ?

    Trop longtemps, nous tous, historiens compris, avons agi en exploiteurs des morts. Mais le passé n'est pas mort. Il est avec nous. Où que nous allions, nous sommes bombardés de champs de particules de Bohm-Kirino qui nous permettent de voir ce passé, comme si on regardait par la fenêtre. L'agonie des morts nous accompagne. Nous entendons leurs cris. Nous cheminons parmi leurs fantômes. Impossible de détourner le regard, de se boucher les oreilles. Il nous faut témoigner ; il nous faut parler pour ceux qui ne le peuvent pas. Nous n'avons qu'une occasion de le faire.

    J’ai eu plus de mal avec la forme qui a pour moi, tout du moins au début, maintenu le récit à distance, même si je reconnais qu’elle offre à Ken Liu « une neutralité » qui lui permet d’aborder sans transition, différents points de vue en laissant la parole à une diversité de protagonistes.

    Et pour finir : la couverture est magistralement belle...

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  • Les dépossédés - Ursula Le Guin -Première incursion dans l’univers d’Ursula Le Guin et je peux vous dire d’emblée que ce ne sera pas la dernière. Qu’est-ce qui m’a tant plu dans les dépossédés ? Je vais essayer d’être concise, sans rien oublier, mais ce n’est pas gagné. Déjà le style : impeccable et une histoire qui aborde une tonne de sujets tout aussi essentiels que passionnants dans un questionnement permanent.

     Urras et Annares sont deux planètes qui se font face (chacune étant la lune de l’autre). La seconde, aride et inhospitalière, a accueilli les bannis et autres parias d’Urras qui ont instauré une société égalitaire où l’intérêt général est la suprême préoccupation de chacun, où le bonheur et le bien-être de l’un sont conditionnés au bonheur et au bien-être de l’autre. Les conditions de vie matérielles sont difficiles, mais chacun a, de par sa seule volonté ou prédisposition naturelle, la possibilité de devenir ce qu’il est ou souhaite. Étiquette accolée : « meilleures des sociétés possibles».

    Pour Annares, c’est un peu comme sur terre : si la cuillère qui te nourrit est d’argent, grandes sont tes chances qu’elle le reste en vieillissant, peu importe que tu sois intelligent, débile profond, âme pourrie ou gentil Samaritain : le monde t’appartiendra et tu pourras joué dans la cour des rois. Par contre si ton berceau est de misère, espère que de dons ou de neurones tu n’aies point, tu pourras au moins croire que ton pauvre sort, tu mérites… Étiquette décollée : « Liberté-Egalité-Fraternité » à remplacer par ce que vous voulez, ça ne manque pas…

    Les dépossédés - Ursula Le Guin -

    Et comme un pont faisant la liaison entre ces deux mondes : Shevek ! Un physicien surdoué d’Annares qui a mis au point une théorie scientifique, invité à en débattre et la partager sur Urras.

    Il n'avait pas eu d'égaux. Ici, au pays de l'inégalité, il les rencontrait enfin.

    Mais voilà, les certitudes de Shevek vont petit à petit s’émousser et le fol enthousiasme du début va laisser place à une déconstruction des bases de chaque monde et de ces sacro-saints idéaux qui les tiennent à bout de bras.

    On ne peut pas briser les idées en les réprimant. On ne peut les briser qu'en les ignorant. en refusant de penser, refusant de changer.

    Le meilleur des mondes n’est pas forcément exempt d’inégalités et entre l’enfer et le paradis d’Urras se dessine malgré tout un entre deux… Sous le mot de liberté, utilisé par chacun de ces deux peuples, émergent deux visions différentes de société possible. La comparaison entre un communautarisme totalitaire passé et un libéralisme effréné actuel serait trop simple : Ursula Le Guin me semble dépasser cette dichotomie pour nous inciter à penser autrement. Au-delà...

    Prouver notre droit par des actes, si nous ne le pouvons par des mots.

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  • Feuillets de cuivre - Fabien Clavel -Quand je vois toutes les critiques positives écrites sur ce livre, je vais faire figure de vilain petit canard avec la mienne, qui va être nettement moins enthousiaste.

    Je me suis accrochée pour finir Feuillets de cuivre, car, comme beaucoup, je voulais savoir le fin mot de l’histoire et ce qui reliait entre elles toutes ces enquêtes comme autant de nouvelles…

    L’histoire est simple : nous suivons les investigations de Ragon, agent de la police criminelle – et sa montée en grade – à travers la lecture de ses carnets où il a pris soin de consigner chacune. Ce n’est pas la résolution des meurtres en elle-même qui est le moteur de ce livre, mais un savant jeu de piste littéraire organisé par un criminel dont on peine à identifier et l’identité et les motivations.

    Confession, tu touches à ta fin. Je n'ajoute plus rien, même si subsiste en moi la question : qui suis-je ?

    Franchement, même si je trouve cette idée superbe et originale, la lecture fut laborieuse pour moi et je ne vous cache pas que sans toutes ces critiques dithyrambiques, j’aurai abandonné bien avant la fin.

    J’ai regretté aussi que l’univers steampunk soit si peu développé, à Feuillets de cuivre - Fabien Clavel -mon sens. Par contre, j’ai été séduite par Ragon : c’est un personnage rare. Se nourrissant tant de littérature qu’il finit par ressembler à sa bibliothèque : large et imposant mais tout autant subtile et précieux. Fabien Clavel a créé là, une personnalité atypique et complètement en accord avec l’histoire qu’il nous présente.

    Pouvait-on vivre uniquement dans des livres, à travers livres ? Oui, pour assourdir la rumeur ignoble du monde, ce cri vulgaire et souffrant qui lui vrillait le crâne à la manière des portes de prison qui grincent. Et puis oublier son tumulte intérieur aussi, cette noire marmite bouillonnant au rythme des souvenirs.

    Certes, on ne peut que saluer l’ingéniosité de l’auteur qui fait un sans faute dans le dessein qui semble le sien : emmener par ricochet le lecteur d’œuvre en œuvre, d’auteur en auteur, en semant tout au long du récit, des références aux piliers de notre littérature. Mais cela ne m’a pas suffit pour m’approprier ses feuillets de cuivre. J’en suis la première navrée. Je me faisais une joie de découvrir ce livre…

    Mais que cela ne vous décourage pas de le lire. Statistiquement, vous avez plus de chance de vous fondre avec bonheur dans l’univers de Fabien Clavel que pas…

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    Feuillets de cuivre - Fabien Clavel -

    4ième de couv :

    Paris, 1872. On retrouve dans une ruelle sombre le cadavre atrocement mutilé d'une prostituée, premier d'une longue série de meurtres aux résonances ésotériques. Enquêteur atypique, à l'âme mutilée par son passé et au corps d'obèse, l'inspecteur Ragon n'a pour seule arme contre ces crimes que sa sagacité et sa gargantuesque culture littéraire.

    À la croisée des feuilletons du XIXe et des séries télévisées modernes, Feuillets de cuivre nous entraîne dans des Mystères de Paris steampunk où le mal le dispute au pervers, avec parfois l'éclaircie d'un esprit bienveillant... vite terni. Si une bibliothèque est une âme de cuir et de papier, Feuillets de cuivre est sans aucun doute une œuvre d'encre et de sang.

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  •  Quel dommage ! Quel dommage ne pas avoir assumé (choisi ?) la SF jusqu'au bout ! Et cela m'ennuie d'écrire cela, car ce livre m'a plu, car ce qu'il relate est la réalité des animaux de boucherie*(sélectionner pour voir. Attention spoiler) telle qu'elle est et rien que pour ça, j'aurai adoré n'en dire que du bien sans aucune réserve. Mais voilà ! Ce n'est pas parce que Vincent Message ose écrire ce que je pense tout bas, qu'il faut que je taise ce sentiment par rapport à Défaite des maîtres et possesseurs.

    Alors, soyons claire d'emblée : ce n'est pas que ce n'est pas bien. loin de là ! Mais cela aurait pu être tellement mieux ! Sentiment personnel et qui n'est pas partagé par tous, mais voilà ! Je ne me vois pas taire cette petite déception que j'ai eu aux premiers abords. Défaite des maîtres et possesseurs - Vincent message -

    L'auteur a fait le choix du conte, futuriste, philosophique..., alors, forcément, nous ne sommes pas dans le même type de narration. Ici, nous sommes dans le « il était une fois », dans le «comme si ».

    Il était une fois le destin de la terre et des animaux qui la peuplent : dans un futur plus ou moins lointain, les plus dévastateurs de tous les terriens – les hommes – ont été soumis et colonisés par une race d'êtres venus de l'espace. Des nomades, en quête d'une escale interplanétaire, pour se poser quelques siècles, se nourrir et vivre au mieux, en attendant un nouveau départ, une fois le garde-mangé épuisé... Je m'arrête là ! Vous lirez la suite vous-même.

    Défaite des maîtres et possesseurs - Vincent message -
    Ma réserve ne tient donc pas au contenu, mais à la forme : le rythme n'est pas celui que j'aurai attendu. Au lieu de nous livrer ce devenir à la façon du conte, j'aurai aimé le voir s'installer, dérouler cet avenir sous mes yeux, le découvrir et que tout cela soit chaloupé par des dialogues, des scènes à vous couper le souffle. Il y en a. Et de très belles. Mais c'est par ce biais que j'aurais aimé rentrer dans ce roman. Le début a donc été un peu laborieux pour moi. Mais, passé les 50 premières pages, j'étais de nouveau ferrée ! Et puis, il m'a semblé comprendre ce choix du conte : ne pas trop heurter, attaquer de front le lecteur, car l'auteur souhaite qu'il le suive, l'accompagne jusqu'au bout, sans en perdre aucun en route...Défaite des maîtres et possesseurs - Vincent message -Laissons la forme et parlons du fond : c'est un livre qui fait mouche ! Il ravira (et ravit déjà) les militants de la cause. Il met en perspective une réalité « cachée » dont on sait tous de quoi « il en retourne » mais pour laquelle on préfère bien sûr, faire « comme si » on n'en savait rien...

    Alors je vais aussi faire comme si. Faire comme si je ne vous avais rien dit de cette petite réserve et vous encourager à ouvrir Défaite des maîtres et possesseurs et qui sait ? Peut-être ne saura-t-il plus question après, pour vous aussi, de « faire comme si... »

    Défaite des maîtres et possesseurs - Vincent message -

    Savoir est une chose. Accepter de regarder la réalité en face en est une autre.

    ¤ ¤ ¤

    Défaite des maîtres et possesseurs - Vincent message -

    4ième de couv :

    Iris n'a pas de papiers. Hospitalisée après un accident de voiture, elle attend pour être opérée que son compagnon, Malo Claeys, trouve un moyen de régulariser sa situation. Mais comment s'y prendre alors que la relation qu'ils entretiennent est interdite ? C'est notre monde, à quelques détails près. Et celui-ci, notamment : nous n'y sommes plus les maîtres et possesseurs de la nature. Il y a de nouveaux venus, qui nous ont privés de notre domination sur le vivant et nous font connaître un sort analogue à celui que nous réservions jusque là aux animaux. Avec cette fable brillante, dans la lignée d'un Swift ou d'un Kafka, Vincent Message explore un des enfers invisibles de notre modernité.

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  • Le Grand Livre - Connie Willis -Voyager dans le temps à une des périodes de l’histoire longtemps décriée, dénigrée – le Moyen-âge – et découvrir que tout ce qu’on croyait savoir est bien en deçà de la réalité, c’est ce à quoi nous invite « le grand livre » et c’est ce que va vivre Kivrin, jeune étudiante passionnée des temps futurs, partie pleine d’entrain et d’espoir, vers ce siècle qu’elle adule. Bien sûr, les choses ne vont pas se passer comme elles devraient…

    Au XIV e siècle, l'espérance de vie était de 38 ans. À condition d'échapper au choléra, à la variole et à la septicémie, de ne pas ingérer de la viande avariée ou de l'eau polluée et de ne pas être piétiné par un cheval ou brûlé vif pour sorcellerie. Et de ne pas mourir de froid...

     

    Le Grand Livre - Connie Willis -

    Passé et présent vont s’alterner, chacun dans une course effrénée pour la survie et l’espoir d’un retour, de moins en moins certain au fur et à mesure du récit. Connie Willis réussit à nous embarquer dans ce voyage et à nous maintenir accrochés à ce grand livre, dont on aimerait que les pages se tournent plus vite, pour en connaître enfin le dénouement.

    Le Grand Livre - Connie Willis -

    Quelques longueurs, certes, mais dont je n’arrive pas encore à savoir si elles ne tiennent pas tout simplement au fait que j’avais presque hâte de quitter les présents pour retrouver Kivrin, Rosemonde, Agnès et le père Roche, les sons des cloches et les mugissements de la vache dans les oreilles, fébrile et curieuse de connaître la suite… On en oublierait presque qu’il s’agit d’un livre de science fiction, tant les lieux, les gens et leur manière de vivre sont bien représentés et nous fait oublier ce futur que l’auteure nous décrit, où les historiens expérimentent le passé en arpentant les époques comme actuellement les bibliothèques et les sites archéologiques.

    Elle était une vraie historienne, elle avait écrit les chroniques de ce temps dans une église déserte, seule au milieu des tombes. Moi qui ai vu tant de souffrances et le monde entier sous l’emprise du Malin, j’ai voulu porter témoignage, de crainte que les mots ne disparaissent avec moi.
    Elle tourna ses paumes vers le ciel et examina ses poignets sous la clarté crépusculaire. – Le père Roche. Agnès, Rosemonde, tous les villageois. Leur souvenir est conservé là-dedans.

    Si vous aimez cette période de l’histoire, que vous appréciez ou non la SF, ce livre est fait pour vous...

    ¤ ¤ ¤

    La peste bubonique :

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    Le Grand Livre - Connie Willis -

    4ième de couv :

    Quoi de plus naturel, au XXIe siècle, que d'utiliser des transmetteurs temporels pour envoyer des historiens vérifier sur place l'idée qu'ils se font du passé ?
    Kivrin Engle, elle, a choisi l'an 1320, afin d'étudier les us et coutumes de cette époque fascinante qu'aucun de ses contemporains n'a encore visitée : le Moyen-Age.
    Le grand jour est arrivé, tous sont venus assister au départ : Gilchrist, le directeur d'études de Kivrin ; l'archéologue Lupe Montoya ; le docteur Ahrens ; sans oublier ce bon professeur Dunworthy, qui la trouve trop jeune et inexpérimentée pour se lancer dans pareille aventure et qui s'inquiète tant pour elle.
    Ses craintes sont ridicules, le professeur Gilchrist a tout prévu ! Tout, mais pas le pire…

     

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