-
Par Liza Helle le 29 Octobre 2017 à 09:04
J'aimerai vous faire partager ma dernière découverte : une revue qui fait la part belle aux auteurs contemporains : A l'index - espace d'écrits. Elle nous propose essentiellement de la poésie (36 auteurs se partagent ses 192 pages), mais pas que. Vous y trouverez également des nouvelles, des articles - lisez La Jeune Parque de Paul Valéry d'Antoine Houlou-Garcia - et des notes de lecture sur une sélection de recueils publiés récemment. Et tout cela dans une édition soignée au format "livre".
Je ne pourrais tout détailler, alors de façon très arbitraire, je vais m'attacher à mettre en lumière ce qui m'a séduite :
- la présence d'auteurs étrangers (italiens, anglais, grecs, ...) dont les poèmes sont présentés dans leurs langues originelles accompagnés de leurs traductions. Ce San Geronimo translates de Françoise Canter - Saint Jérôme, patron des traducteurs - comme une mise en abîme, un hommage à tous ces passeurs de sens...
- cette promesse tenue, d'horizons partagés. Voyager au creux des mots, en suivre les contours et s'ouvrir à d'autres territoires... Et pour ceux dont nos pieds ont déjà foulés les sols, se retrouver en quelques instants auprès de leur auteur : En attendant l'aurore, apprécier la beauté de ces notes éparses, de Philippe Beurel :
Vallée de la Vilaine. Un reste d'or dans le ciel et voila les nénuphars, ornements immobiles des canaux, nimbés d'une dernière lumière. L'ombre a gagné chaque recoins du jardin, devenu muet. A l'orée de la forêt montent le dernier chant d'oiseau et bientôt le silence que viendront rompre, ici et là, les aboiements des chiens, vigie des hameaux. Comme tombe le soir sur la campagne, tombe le soir sur la vie d'un homme.
- Florentine Rey, qui a été une réelle découverte pour moi.
Il y a quelque chose de léger et à la fois d'incisif dans son écriture qui tranche, coupe et vous rappelle à une réalité qu'on aimerait bien souvent oublier la guerre ne se guérit pas. Et ce si beau si vieille ! qui vient se cogner, comme en écho, au Là-bas, en bas, tout en bas de Christian Jordy :Comme je ne souhaite pas finir là-bas, je préfère encore en terminer ici, en bas, tout en bas, devant vous. Il se trouvera bien quelqu'un pour venir me détacher...
- le plaisir de retrouver Gérard Le Gouic, avec Ce poème inédit, emplit de gravité et de malice...
- et tous les poètes qui ont contribué à ce numéro et que je ne peux malheureusement tous citer. J'espère vous avoir donné l'envie de les découvrir. Sans doute, vous arrêterez vous sur d'autres mots, d'autres histoires, d'autres faiseurs de sens que ceux que je viens de citer...
Et pour finir, je voudrais vous parler de cette belle introduction de Jean-Claude Tardif - poète et créateur de la revue - qui s'ouvre sur une nostalgie touchante mêlée d'une détermination et d'une lucidité qui force le respect : Écrire et a fortiori publier de la poésie aujourd'hui, c'est souvent faire acte de résistance. Et que dire de ceux qui osent en lire ?
J'aime l'idée que la langue et une partie de la littérature qu'elle contient, qu'elle héberge, ont des allures de marchandises de contrebande. Trésors passés sous le manteau et par des chemins détournés. Drailles, sentes tracées par quelques uns aux profits de lecteurs-voyageurs curieux - il n'est pas interdit de les souhaiter nombreux - ou pour des vagabonds, hoboes du livre à petit tirage. Le lecteur de poésie et a fortiori des revues fait partie, à n'en pas douter, de cette confrérie de crèvent-la-ligne. Et je ne peux que souhaiter que certains de ses membres trouvent de quoi se nourrir, ne serait-ce que sur le pouce, entre les pages de À L'INDEX.
À tous les crèvent-la ligne, je ne dirais qu'une seule chose : ne passez pas à côté de cette si belle revue !¤ ¤ ¤
4ième de couv :La Poésie
La poésie c'est peut-être vouloir garder, conserver, préserver le présent dans sa respiration, son inspir et son expir, son mouvement existentiel, son rythme quotidien. La poésie est dans les rythmes de l'œil, de l'oreille, de la langue, de la peau, du nez. Être poète, c'est se donner corps et esprit à la présence du monde, c'est être possédé par le monde, c'est ouvrir en permanence ses antennes sensibles à l'univers, c'est être humain à part entière; c'est se perdre dans les gens pour se retrouver dans le sens; c'est s'adresser à l'autre, son alter ego, pour lui dire "je suis toi, je suis nous, même si tu ne me comprends pas encore. J'attends de toi aussi ce que je te propose. Même sans toi, je suis toi, par delà toutes les divergences, différences". Être là. C'est aussi con que ça. Ce "ça" dont Freud nous dit qu'il est notre invraisemblable vérité, ce qui en nous reste à révéler.
Jean-Pierre Chérès¤ ¤ ¤
TABLE DES MATIÈRES
pour vous donner un aperçu de ses richesses...
Au doigt & à l’œil par Jean-Claude TardifTrois Inédits de Jean-Pierre Chérès
Le Météore & le Jasmin -Essai sur la Poésie- de Luis Porquet
Khi (poème) de Paola Bonetti
Traduction : Laurence Fosse, Dominique Masson et Gérard TrougnouArdoises (poèmes) de Michaël GluckFugue de lieu (poème) de Marie-Claude San JuanQuatre poèmes de Laurent NuchyCastiglione (texte court) de Luc Demarchi
Jeu de Paumes - Petite anthologie portative
Sahar Ararat - Patrick Beaucamps - Éric Chassefière - Guy Girard - Hubert Le Boisselier - Gérard Le Gouic - Philippe Martinez - Roland Nadaus - Claude Serreau – Claude VancourL'accident – de mémoire de hérisson - (nouvelle) de Jean-Claude Tardif
Deux poèmes inédits de Françoise Canter
Une voix grecque : Nikos Bélias
traduction d'Alexandre ZotosEn attendant l'aurore - Notes éparses - de Philippe Beurel
L'ho sentito implorare con durezza (poème) de Ferruccio Brugnaro
traduction de Jean-Luc LamouilleLa Jeune Parque de Paul Valéry : pour soulever le voile…
- texte - par Antoine Houlou-GarciaArchéologie d’une pierre (extrait) de Raymond Farina
Cuba Libre (texte) de Henri Cachau
Ik waccht op de trein/ J'attends le train de Michel Westrade
Poèmes inédits de Luis Benitez
traduction de Cecilia CecchiHôtel Artaud all’alba (poème) de Ettore FoboVersion française de Daniel Dragomirescu & Jean-Claude TardifQuatre petites proses de Rabiaa Marhouch
Tercets au goût de Haïku de Marie Laugerie
Vengeance de bonne femme & Autres de Florentine Rey
Deux poèmes de Parviz Khazraï
Que se passe-t-il ? (prose) de Raymond Delattre
Château-branlant (poèmes) de Gianmarco Pinciroli
Traduit de l’italien par Raymond FarinaLà-bas, en bas, tout en bas (nouvelle) de Christian Jordy
Montrés du doigt par Jean Chatard et Gérard Paris
votre commentaire -
Par Liza Helle le 11 Juin 2017 à 17:58
La marche du milieu de Chantal Dupuy. Celle qui relie ou sépare.
Celle
Entre les écrits commis
et le texte à venir.
J'apprivoise l'étape,
attentive,
Du seuil.Faire arrêt, avant de franchir chaque palier, comme autant d'étapes dans les poèmes à construire. L'attente est pleine de promesse, de renoncements parfois aussi.
Il y a
Dans la mémoire des pas
Tant de déséquilibre
Et, dans les projets,
tant d'errance.L'arrêt seul jette une passerelle.
Les yeux tournés vers ce but ultime, le poète grimpe, marche après marche, chancelant et incertain, conscient de ce qu'il y a de dérisoire et signifiant dans cette démarche, avec en mémoire, les traces à demi effacées des anciens pas posés.
Dans la pierre irisée
Les traces demeurent
Des passages antérieurs,Réceptacle creusé
Comme au front de la table,
la marche se souvient.Obstinément, pierre après pierre, sans garantie aucune : le poète avance avec sa plume, réinventant le chemin à chaque vers, sans savoir si la prochaine marche sera la transition ou malheureusement la fin de tous ses mots. Tel un don qui s'envole, le petit bonheur s'en irait sans nous donner la main...
La même obstination, la même liberté incertaine, se lit dans les dessins de Michèle Dadolle. Les pinceaux survolent, légers, le papier épais ou s'écrasent et gouttent, encres noire et rouge, solitaire ou mêlée : violence et plénitude de la quête, du mouvement.
¤ ¤ ¤
votre commentaire -
Par Liza Helle le 26 Mai 2017 à 13:37
Être le greffier du temps,
Quelconque assesseur que l'on voir rôder
Lorsque se mélangent l'homme et la lumière.Voilà. Ce sont ces quelques vers en exergue des âmes grises de Philippe Claudel qui m'ont conduite à l'homme de peu de Jean-Claude Tardif.
Parfois cela tient à pas grand chose, la découverte d'un auteur : un chemin tracé, une résonance entre deux livres, deux écrivains... et puis surtout, cette promesse de bonheur, que l'on devine entre les mots.
mots-jetés, brindilles entre deux amis
consolés par leurs gestes.J'ai commencé la lecture, et très vite, je me suis retrouvée aux côtés de l'auteur, l'écoutant me raconter cet homme de peu, me présentant certains de ces compagnons de voyage, d'accueil et de partage : poètes et amis...
Petit à petit, sont remontées doucement :
des odeurs d'enfance séchée
que l'on tient au secret
dans une armoire de chêne.En ce temps où l'enfant écoutait, apprenait autant des silences que des mots, petite main enserrée dans celle calleuse et ample de l'ancien ; en ce temps où
Un livre prêté...
Nous l'appelions lucarne
d'où les mots s'envolaient,
s'étiraient telles nos grasses matinées de printemps.Nous n'osions pas même le refermer
quand nous faisions l'obscurité.Et puis, il y a les douleurs fantômes de la guerre d'Espagne, si savamment tues qu'elles ne dupent personne : ni les vieux qui peinent à effacer leurs bleus, ni les "enfants-petits" qui savent
que les morts du jardin prolongeaient d'autres morts
sous les paupières d'Antonio.J'ai repris la route plusieurs fois, relisant encore et encore
La parole jusqu'à l'écho
Libre d'aller, sans boussole ni plan, je me suis sentie plus légère, délestant de mes épaules tout ce que je croyais essentiel et qui tombait sans peine jusqu'à trouver trace de l'homme de peu. Le mien. Ni tout à fait le même, ni tout à fait différent de celui de l'auteur.
Il me ressemble
lorsqu'il se regarde dans les flaques.Ce ne sont pas des souvenirs égrainés au fil des pages que vous trouverez dans ce recueil de Jean-Claude Tardif ; c'est la moelle d'une vie.
Demain se fera en silence
¤ ¤ ¤
4ième de couv :
Livre des gens simples
émargé à chaque feuille d'une ride sèche
- terre avant l'orage.
Sans autre prétention, nous y forçons la pluie
attendant le meilleur du jour
sous la pelisse de nos remords
avec l'espoir
d'une ode découverte sous la pierre
avant de nous perdre,
mendiants magnifiques,
dans le requiem du poème.
- - -
Jean-Claude Tardif est né en 1963, et vit actuellement en Normandie. Animateur de la revue "à l'index", il a publié une dizaine de livres. Le présent recueil vient clore une trilogie qui réunit "Orcus" (La Bartavelle, 1995) et "De la vie lente" (La Dragonne, 1999) : s'y exprime la voix d'un poète qui garde intacte sa faculté d'émerveillement et de partage.
votre commentaire -
Par Liza Helle le 1 Mai 2017 à 20:02
La belle vitesse d'Ariane Dreyfus, celle qui fait grandir les enfants, je la lis avec mon cœur de maman. Je ne sais comment des yeux d'enfants la reçoivent : Mon ressenti a pris toute la place.
Ariane Dreyfus pose ces quelques mots, comme autant d'instants fugaces saisis au vol, telle une photographe fixant en un clic tous les moments si précieux de la vie de ses petits... Le coup de crayon de Valérie Linder leur donnant vie, tels des premiers dessins.
Les petites graines de nos corps grandissent ; Créateurs de mondes et merveilles, explorateurs débutants et intrépides, sautant d'une pierre à l'autre.
Nous les portons moins dans nos bras. Mais ils ne sont pas encore redescendus.
Ils jouent.Toujours un peu plus forts. Toujours un peu plus grands. Ils engrangent les trésors de leur vie : l'insouciance, l'amour, la confiance et ce sentiment de liberté quand tout ne tient qu'à faire comme si...
Découvrir qu'ils s'éloignent de nous ; que nos mains se lâchent et que les cordons se cassent...
Anne disparaît dans le couloir.
Je dois penser très fort
J'ai une petite fille, petite.
Elle reviendra.Sentir dans nos tripes la boule de cet amour fou ; même pour celui qui ne naîtra jamais...
Il n'y aura pas d'autre enfant
mais pourtant je l'aime aussi.Savoir les laisser s'envoler quand on voudrait les serrer si fort, encore... Plaisir de les voir grandir et déchirement de les savoir partir. Garder en nous tous ces petits mots, ces regards, jalousement, comme autant de petits bijoux précieux et ce foutu vide au creux de nos entrailles qui ne veut pas se refermer, comme une place à garder, une promesse à tenir...
"Madame, je vous aime. Voulez-vous être ma maman ?"
AnneChanter, je n'oserais pas.
¤ ¤ ¤
votre commentaire -
Par Liza Helle le 23 Avril 2017 à 16:03
Quarante sept pages de bonheur. Je ne sais si c'est vraiment bien de commencer ainsi pour vous parler de la mort ; mais si vous ouvrez Où qu'on va après ? il y a de grandes chances pour que vous pensiez comme moi.
Chantal Dupuy-Dunier, elle, ne se pose pas la question. Elle fonce. Elle n'a pas tort, vous me direz. La vie c'est court. Et :
La mort,
c'est simplement : Ça dort.Tout ce qui vivait,
tous ensemble
les fleurs
les chats
les hommes...(...)
Cette sorte de sommeil
d'où on ne se réveille jamais.Ce genre de choses qu'on ne dit jamais aux mômes. C'est trop petit un enfant. Ça peut pas comprendre. Et puis, c'est fragile. Faudrait pas le casse l'abîmer, le fêler... Parce que bien sûr, quand on est grand, la mort, ça passe tout seul. Pour ceux qui restent, bien sûr, ça coule et ça ruisselle sans traces et sans bosses sous la carapace. D'un coup, on comprend tout. C'est sûr !
Si vous ne croyez pas à cela, il vous reste Où qu'on va après ?
Pour la rose, la chèvre de Monsieur Seguin, le vieux monsieur du 5ième, le petit gosse d'en face et même Monsieur Seguin : C'est idem.
Ils meurent tous les hommes.
Ils se retrouvent un jour tous ensemble.Ça me fait tout drôle quand j'y pense :
rejoindre au creux d'une poignée de terre
des gens qui auraient jamais voulu
me serrer la main de mon vivantMais n'allez pas croire qu'avec ça, vous allez traumatiser la petite prunelle de vos yeux. C'est cru, c'est net, c'est dit. Mais c'est aussi plein d'humour et de belles images (superbes illustrations d'Elena Ojog, tout en finesse, couleur sépia) qui n'enlèvent rien à la poésie et au petit brin de philosophie qui pointe le bout de son nez.
Et la mémoire dans tout ça ?
La conscience ?
L'esprit ? L'âme ?Et c'est à la fois tellement plus que tout ça, que j'ai l'impression de survoler toute la richesse de ces quarante sept petites pages.
Alors... vous laissez les découvrir.Je vous l'ai déjà dit :
j'suis poète, moi, pas scientifique.
Voudriez pas que je sois philosophe en plus !¤ ¤ ¤
4ième de couv :
Les animaux, les petits, les gros, ils meurent pas toujours des mêmes causes mais ils meurent tous, même le loup, même les puces sur le dos du loup de la chèvre de Monsieur Seguin (et même Alphonse Daudet, l'inventeur de la chèvre, il est mort. Mais j'anticipe... ).
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique