• La carte postale - Anne Berest - Paris-Normandie, 22 Mai 2019 : "Une plaque en hommage à trois anciens élèves du lycée Aristide-Briand, déportés en 1942 et morts à Auschwitz, a été dévoilée dans le hall de l’établissement ébroïcien. Ils s’appelaient Lucien Melich, Noémie et Jacques Rabinovitch. Ils avaient respectivement 14 ans, 19 ans et 16 ans quand ils ont été arrêtés et déportés, en 1942, vers le camp de concentration d’Auschwitz où ils ont trouvé la mort."

    Cela aurait pu commencer avec ça. Mais, il n'en fut rien. L'élément déclencheur de cette quête est en couverture du livre : une carte postale de l'Opéra Garnier reçue en janvier 2003. Au dos, quatre prénoms : Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques et un destinataire : M.BOUVERIS.

    Merci au Jury du Goncourt d'avoir recadré une de ses membres, sans cela, je ne l'aurais peut-être jamais ouvert ce livre. Ou pas si tôt. Comme quoi, les prix, ça a du bon... Trêve de plaisanterie. Ce livre est une, si ce n'est ma meilleure lecture de 2021. Ce n'est pas qu'un énième livre sur la Shoah. Et si, c'est la seule chose qui vous intéresse, lisez plutôt Si c'est un homme de Primo Levi.
    Non.
    C'est un livre sur la transmission, sur ces bouches closes, sur la mémoire, sur ces maux dits et impossible à entendre, sur ce que c'est que de devoir vivre avec une étiquette que nous colle la société et dont on ne connaît rien. Ou presque. Juive pour les uns, Illégitime à la table du dîner de Pessah pour les autres, Perdue au milieu de tout cela pour soi...

    La carte postale - Anne Berest -

    Je cherche dans les livres d'Histoire celle qu'on ne m'a pas racontée. Je veux lire, encore et toujours. Ma soif de connaissance n'est jamais étanchée. Je me sens parfois une étrangère. Je vois des obstacles là où d'autres n'en voient pas. Je n'arrive pas à faire coïncider l'idée de ma famille avec cette référence mythologique qu'est le génocide. Et cette difficulté me constitue tout entière. Cette chose me définit. Pendant presque quarante ans, j'ai cherché à tracer un dessin qui puisse me ressembler, sans y parvenir. Mais aujourd'hui je peux relier tous les points entre eux, pour voir apparaître, parmi la constellation des fragments éparpillés sur la page, une silhouette dans laquelle je me reconnais enfin : je suis fille et petite fille de survivants. 

     Avant d'en arriver là, vous avez 500 pages. Mais, croyez-moi, vous ne les verrez pas défiler...

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    4ième de couv

    C'était en janvier 2003. Dans notre boîte aux lettres, au milieu des traditionnelles cartes de vœux, se trouvait une carte postale étrange. Elle n’était pas signée, l’auteur avait voulu rester anonyme.
    L’Opéra Garnier d’un côté, et de l’autre, les prénoms des grands-parents de ma mère, de sa tante et son oncle, morts à Auschwitz en 1942.
    Vingt ans plus tard, j’ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale. J’ai mené l’enquête, avec l’aide de ma mère. En explorant toutes les hypothèses qui s’ouvraient à moi. Avec l’aide d’un détective privé, d’un criminologue, j’ai interrogé les habitants du village où ma famille a été arrêtée, j’ai remué ciel et terre. Et j’y suis arrivée.
    Cette enquête m’a menée cent ans en arrière. J’ai retracé le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine. Et enfin, leur arrivée à Paris, avec la guerre et son désastre.
    J’ai essayé de comprendre comment ma grand-mère Myriam fut la seule qui échappa à la déportation. Et éclaircir les mystères qui entouraient ses deux mariages. J’ai dû m’imprégner de l’histoire de mes ancêtres, comme je l’avais fait avec ma sœur Claire pour mon livre précédent, Gabriële.
    Ce livre est à la fois une enquête, le roman de mes ancêtres, et une quête initiatique sur la signification du mot « juif » dans une vie laïque.

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  • Tsiganes - Jan Yoors -Un destin, ça ne se commande pas. Jan Yoors en est la preuve. Qu'est-ce qui a pousser ce gosse à aller à la rencontre de ces tsiganes qui ont fait halte dans son village ? La curiosité, sans doute. La vie dehors, en plein air, autour du feu, près de l'eau et des chevaux.

    Les rencontrer, c'est une chose. Mais à une douzaine d'années, s'en aller sur les routes, avec eux, c'est exceptionnel ! Ce vent de liberté qui les emporte, subjugue totalement ce gosse. Fasciné par ce peuple méconnu et surtout malaimé, il va apprendre à vivre comme eux, dans l'instant présent, dans la cohésion familiale et communautaire. Il va découvrir, non seulement une nouvelle façon de vivre, mais des codes, des relations complètement différentes, où les gadje ne sont pas tolérés. A part de rares exceptions, dont Jan Yoors fera partie.

    Les Roms sont depuis la nuit des temps et dans tous les pays toujours vus comme des "voleurs de poules" ; certes, le vol est chose admise chez les Rom, à condition qu'il se limite à des objets de première nécessité. Ce qui est condamnable, c'est le désir de posséder, lequel rend esclave d'appétits que nous n'avons pas besoin de satisfaire. 

    Les traditions orales perdurent le temps qu'un vivant puisse encore s'en souvenir et les transmettre le soir, autour d'un feu. La mémoire des disparus également... 

    Le manque de courage devant la mort est un manque de courage devant la vie...

    Et elle fut bien remplie cette vie, que Jan Yoors nous donne à découvrir ! 

    Qu'en est-il aujourd'hui, de cette liberté, de cette vie sur les chemins et de ce temps présent, le seul digne d'être vécu ? 

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    4ième de couv

    Une ville des Flandres dans l'entre-deux guerres. Un gamin fugue pour rejoindre une compagnie de Tsiganes qui passaient par là : une famille de Rom Lovara, ces dresseurs de chevaux qui sont considérés comme l'aristocratie des Fils du Vent. Les parents du petit fugueur le font rechercher, longtemps en vain ; quand ils le retrouvent, il leur explique qu'il ne veut plus aller à l'école, qu'il veut suivre ses amis les Rom sur la route. Et, chose incroyable, on le laisse repartir. Devenu un Rom parmi les Rom, Yoors en racontant sort aventure livre ce qu'on ne trouve dans aucun ouvrage : la vérité d'une culture dont les Tsiganes ont toujours caché les secrets - car ces affamés de liberté se font un devoir de mentir à ceux qui les interrogent... Dès lors s'explique-t-on que ce livre-culte, à peu près seul de son espèce, trouve grâce aux yeux des Tsiganes eux-mêmes ; et soit considéré par quelques autres comme un bréviaire de l'insoumission. "Le livre que vous allez lire est contagieux. Un mystère fait qu'il s'adresse à chacun de nous intimement. Il rejoint nuitamment nos rêves censurés de jungle et de fuite... Nous sommes tous des nomades contrariés. " Jacques Meunier.

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  • Vigneronne - Laure Gasparotto -Il faut être fou pour être vigneron. C'est un lien de toute une vie qui se tisse entre l'homme et la plante. Ils ont la même longévité. Le rythme de l'une devient celui de l'autre qui la façonne, par sa taille, année après année. 

    Et que dire de Laure, qui plaque tout, ou presque, pour aller cultiver des vignes, achetées par des amis, et produire ce vin, dont elle est une amoureuse fidèle et exigeante, dans ses livres comme dans sa vie ? 

    Laure Gasparotto va arracher, planter, tailler, mettre les mains dans les lies et les bourbes ; elle va arpenter ses vignes, les dorloter, les jalouser et tomber de haut face à l'adversité de la nature, qui ne plie pas devant sa volonté. 

    C'est un livre qui se lit avec passion et respect pour cette journaliste spécialisée dans le vin, qui en connaît les grands et plus modestes crûs, qui a ses entrées dans ce monde côté "vente et dégustation" du produit fini et qui, telle Alice, voudrait passer de l'autre côté du miroir... La réalité n'est pas plus ni moins belle. Elle est autre. Maîtriser l'alchimie de la fabrication de ce breuvage est tout un art, qui ne s'apprend pas dans les livres. Du choix des cépages, de la plantation à la taille, et jusqu'à l'émergence des premiers précieux grains, il y a déjà un monde. Les vendanges en sont un autre, comme une promesse, un devenir... Le vigneron surveille ses cuves, comme le lait sur le feu. Est-ce que la magie va opérer ? Encore un autre monde qui peut s'effondrer d'un battement d'aile...

    Elle ne nous cache rien, Laure, de ses joies, de ses turpitudes, de ses maladresses, de son désespoir et de ses moments de grâce. 

    Elle a lâché l'affaire, pour ne pas se perdre, corps et biens, la tête haute et le cœur remplit de gratitude et de sérénité : Quand j'ai vendu le domaine, beaucoup ont pensé que je me trouvais en échec, alors qu'il s'agissait pour moi d'une victoire : j'avais su traverser mon rêve et en revenir, sans m'y perdre. Trop de vignerons se consument dans cette aventure qui d'ailleurs n'est pas toujours la leur, mais celle de leurs ancêtres. 

    J'ai lu Vigneronne, avec les mêmes émotions et la même admiration qu'en écoutant une de mes amies me raconter son Compostelle : Toutes les deux en sont revenues à bout, éreintées. Mais transformées, grandies à jamais. 

    Le grand vigneron est un chaman qui dialogue avec elle, la comprend, et trouve l'équilibre entre l'appel de sa vigne et sa propre folie.

     

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    4ième de couv

    « Je reviens d’un rêve, comme on tombe de son lit, le visage marqué par le pli des événements…. »
    Ce rêve de toujours, pour Laure Gasparotto, c’est la vigne. Ne plus seulement goûter et analyser les crus, légendaires, oubliés, novateurs, ni même les raconter dans ses livres mais tenter l’aventure, à son tour, les mains dans la terre : devenir vigneronne.
    Mère de deux enfants et récemment séparée de leur père, la narratrice décide de tout changer. Epaulée par quelques amis, elle quitte Paris et achète un terrain dans les terrasses du Larzac. Ainsi naît son domaine, Les Gentillières. Au cœur de ces vallées pierreuses et secrètes, où la terre et le ciel luttent et échangent, l’enthousiasme l’emporte. La nature se donne, les jeunes enfants courent et arrachent le raisin rougissant, c’est déjà l’excitation des premières vendanges… Le monde de la vigne, pétri de légendes et de savoir-faire ancestral, est aussi un commerce, où il faut « faire son vin », le nommer, dessiner l’étiquette, le laisser prendre, le faire découvrir. Une aventure totale, entre chais, tracteurs, sécateurs et grêles….
    Car le métier est rude, obsédant et dangereux. La vigneronne est seule dans ses champs, isolée face aux raideurs de l’administration et dans un univers masculin. La vigne réclame, la vigne vampirise. Ce n’est pas un métier mais une vie...

    Dans ce récit de métamorphoses, Laure Gasparotto se raconte au fil des jours. Elle a changé de vie, et chaque instant fut le laboratoire de recherche et développement personnel, coûteux, passionné. Et si finalement, ce n’est pas notre vie, mais nous-mêmes que nous devions réinventer ?

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  • Manifeste incertain, tome 8 - Frédéric Pajak -L'avant dernier tome du Manifeste Incertain de Frédéric Pajak ! J'aurai aimé qu'il continue encore et encore, qu'il ne soit pas annoncé de fin à ce projet littéraire et artistique atypique. Jusqu'où aurait-il pu aller ? N'importe où, partout et nulle part à la fois et peu importe ! Je l'aurai suivi sans me poser de questions... C'est bon aussi de se laisser guider, de découvrir des femmes et des hommes, petits ou grands, des lieux improbables et pourtant existants, (toujours) vivants là sous nos yeux et sous sa plume.

    Il y a d'abord ses confidences sur son beau-père, par touche et retour en arrière. Cet être tyrannique et égoïste, qui le méprisait, est dépeint à merveille. Pathétique et cruel ! Puis des récits de voyage, par "impression", emprunts il me semble, de beaucoup de nostalgie. Il parle de désespoir. Planquée de l'autre côté du miroir, J'ai envie de leur tendre la main, mais lorsque, enfin, les mots dévoilent ce qui se cache dans l'invisible, on les croit sur parole. Il n'y a pas de petit arrangement qui soit.

    Les Gilets Jaunes le savent bien !  Leur parole, dès lors qu'elle surgit du vide de la cacophonie médiatique, semble inouïe, et dans sa simplicité, et dans sa brûlure. Ils ne parlent pas avec les mots convenus, stéréotypés, de la télévision : ils parlent bien.

    Et les dessins sont là !

    Paul Léautaud et Ernest Renan sont ses invités. On leur fait une place, les écoute et les apprivoise avec une certaine malice, celle de Frédéric Pajak ! La lecture s'emballe et il faut ralentir le rythme si l'on veut que rien ne nous échappe... On ressent le poids des années - les siennes comme les nôtres - et le temps qui file est presque palpable, concret, matière sous ses mots et ses traits... 

    Mais où sont-elles passées, les années de mon passé ? Les voilà qui dansent dans le remous des vagues, accomplissent un dernier tour de piste avec un sourire un peu triste. Je les compte jusqu'à épuisement. Elles ne sont plus que des chiffres - les bons et les mauvais, pareils à des millésimes.

    Plus que des chiffres...

    Je referme le 8 et contemple encore le tome 9, d'un œil circonspect : Défit illusoire d'une lectrice un peu bravache, qui manifeste cette volonté encore incertaine de mettre à distance ce mot honni en bas de la dernière page, ces trois petites lettres F.I.N.

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    4ième de couv :

    En se mariant, un jeune homme hérite d'un beau-père tyrannique et fortuné, féru d'ésotérisme. Leurs rapports s'enveniment très vite, la violence sourd.
    Dans la montagne, une jeune gardienne de troupeau disparaît du jour au lendemain, sans explication.
    À travers ces deux récits, l'auteur nous invite à un voyage dans une Suisse profonde et tourmentée. On le suit ensuite en Chine populaire, celle de 1982 qui vit sous le régime de Deng Xiaoping, et celle d'aujourd'hui. Ses pas le conduisent jusqu'à Taïwan.
    Ces récits sont entrecoupés de deux portraits : celui de Paul Léautaud immortalisé par le peintre Matisse, et celui d'Ernest Renan à l'époque où il traverse une grave crise de conscience qui le conduit à quitter définitivement le séminaire.
    Un Manifeste qui mêle biographie, autobiographie et fiction et souligne de façon plus ou moins explicite les affres et les voluptés de l'incertitude.

     

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  • Manifeste incertain, tome 7 - Frédéric Pajak -En ouvrant ce 7ième tome du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, je ne voyais qu'elle : Emily Dickinson. Et pourtant, elle a coulé entre mes doigts, filé à une vitesse folle ; sans que je m'en rende compte j'étais déjà en Russie, auprès de Marina. C'est là tout le talent de Pajak, vous faire oublier l'objet de vos attentes et adorer ce que vous n'étiez pas vraiment venu chercher.

    Je connaissais si peu de Marina Tsvetaieva, que j'ai appris énormément : ce qu'elle a vécu, comment elle est morte et cet acharnement à écrire, à créer. Plus fort que tout. Que sa vie, que celle de ses filles, de ses amours... 

    Nos poèmes, ce sont nos enfants. Ils sont plus âgés que nous parce qu'ils vivront plus longtemps que nous. Plus  longtemps que nous depuis l'avenir. Voilà pourquoi ils nous sont aussi parfois étrangers. Marina Tsvetaieva.

    Frédéric Pajak nous fait toucher du doigt le désarroi de cette créatrice, engluée dans la pauvreté, l'asservissement à sa condition de femme et de mère : Je suis de nouveau du matin au soir cousue, soudée, collée à la maison, à ses besoins. Dès le matin marché, cuisine et après le repas, promenade avec Murr - Thé - dîner - (Vaisselle ! vaisselle ! vaisselle !) - tout comme avant.

    L'espace de création se rétrécie comme peau de chagrin ; l'exil face aux répressions, l'isolement et le manque d'argent vont renforcer son besoin de création autant que l'étouffer. Entre aspiration et réalité, le chemin est difficile, presque impossible. Et pourtant, elle crée ! Mais à quel prix...

    Frédéric Pajak retourne sur les traces de Marina, pose ses pas dans les siens et nous livre d'elle un portrait sublime. Il met en mots et en dessins toute une époque, un pays aux prises avec les affres de l'acharnement politique répressif.
    Et Marina au milieu de tout cela...

    Marina a cette si belle pensée pour Rainer Maria Rilke : Je suis toujours persuadée qu'au moment de mourir il viendra me chercher. Il me fera passer dans l'autre monde, comme moi en ce moment, je le fais passer de l'allemand au russe (par la main). 

    Sur la page blanche de fin, je l'ai aperçu cette main...

     

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