• — Ces gars-là ont l’air invincibles, objecta Colb. C’est la loi des espèces : s’ils sont plus forts que nous, ils finiront par prendre notre place.
    — Ils prendront notre place parce que nous jouons les mauvaises cartes. Nous pensons que la loi du plus fort est la meilleure réponse aux agressions, la meilleure forme d’organisation ; je crois au contraire qu’elle est la pire, et qu’elle nous conduit à notre perte.
    — Qu’est-ce que tu proposes en échange, mon gars ? »
    Deux Lunes se releva, cheveux, barbe, visage et poitrine perlés de gouttes d’eau.
    « La solidarité, l’entraide, le don. »
    Le trappeur secoua vigoureusement la tête avant de retourner, à l’aide d’un bout de bois, les restes du ragondin sur les braises rougeoyantes.
    « Moi, j’dis qu’avec un programme comme ça, on tiendrait pas deux générations.
    — Faudrait d’abord essayer. »

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  • Mes mots sont gorgés d’eau
    Et ta voix pleine de larmes
    Mais chaque syllabe
    Enlace le soleil
    Et pose sur ta langue
    Des perles de lumière...

    Loreux, Sologne, 2007

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  • Je viens de terminer Serpentine de Mélanie Fazi, et comme bien souvent, quand un livre me plaît, je n’hésite pas à en parler, le conseiller et le prêter. J’ai été étonnée de la réaction de certains : à un intérêt non feint a vite succédé une fin de non-recevoir, dés que je précisais qu’il s’agissait de nouvelles. « Je suis désolé(e), mais je ne lis pas de nouvelles », « Ah ! Ce sont des nouvelles ? Laisse tomber, j’aime pas ! » Et je vous en passe, le but n’étant pas de plomber ma critique. Je sais, c’est mal parti mon histoire, mais quand même ! Je ne pouvais pas laisser sous silence cette étrangeté très française, paraît-il ?! Alors, comme je ne suis pas du genre à lâcher l’affaire facilement, je suis revenue à l’attaque en leur collant sous le nez, enfin dans les oreilles "Nous reprendre à la route". Oui, j’avoue, j’ai une fâcheuse tendance à lire tout haut, tout ce qui me plaît tout bas. (Là, je sens bien que vous réalisez la chance que vous avez de ne pas m’avoir pour amie...) C’est qu’il faut aller au charbon pour les dérider, mes casseurs de pavés et lecteurs de romans fleuves !

     

    Et bien, comment vous dire ? C’est que je l’ai vu naître cette petite étincelle, cette attente fébrile de la chute, dés que nous sommes sortis de la station service pour rejoindre la route... C’était fantastique ! - d’ailleurs, c’est « du fantastique ». ;-) Et je ne vous raconte pas « Matilda » ! Là, j’avoue, j’ai été un peu vache : j’ai lu que les passages du concert, mais je peux vous assurer qu’ils y étaient avec moi dans la fosse, collés à cette masse en transe, mus par la seule voix de Matilda ! S’ils veulent savoir la fin, qu’ils mettent la main sur Serpentine (3ième bibliothèque, deuxième rayonnage en partant du haut, entre « Si on les tuait ? » d’Annie Saumont et «Demain je vis, c’est promis» de Rémy Brument-Varly).

     

    Je ne leur ai rien lu de « rêves de cendre » (pas « rêve de cendres » : la position du « s » est d’une importance primordiale. Enfin, pour moi), mais je leur en ai touché deux mots, en laissant leurs regards courir sur la trace du feu.

     

    « Il y a des choses trop précieuses pour qu'on les partage, même avec des proches. »

     

    Bon, et puis cela commençait à bien faire de jouer les conteuses si c’est pour plus rien leur laisser à découvrir ! Alors j’ai tu « Petit théâtre de rame » et j’ai tu « Élégie ». Ce sera à eux de m’en parler. Et puisqu’ils sont pour certains branchés « tatoo », j’allais sûrement pas leur gâcher « Serpentine ». Moi, j’ai déjà assez d’une trace sur ma peau, alors les picotements, le choix du dessin, l’emplacement où et à qui je..., je ne pouvais pas m’y fondre, enfin, pas autant qu’ils le feront.

     

    Parce que ce n’est pas rien, ce qu’elle nous livre là, Mélanie Fazi ! Et ne vous laissez pas polluer par cette idée saugrenue qu’un auteur de nouvelles, ce serait un apprenti auteur qui nous livrerai les balbutiements de ses romans en devenir, comme un Usain Bolt junior foulerait ses premières pistes. C’est rien de tout cela.

     

    Une nouvelle de Serpentine, c’est un petit bijou précieux que nous offre Mélanie Fazi : rien de trop, ni de trop peu dans ce recueil-là, même si chacune résonne en nous différemment. Tout est épuré et ciselé jusqu’à l’essentiel : un concentré d’émotions pures.

     

    L’auteure ne laisse pas au lecteur le temps de s’installer, de se poser entre les lignes ; à peine on commence à se croire chez soi, que les mots de la fin nous cueillent et nous assènent deux belles paires de claques. Ça nous apprendra à nous sentir en terrain conquis, à vouloir être bercé par le rythme des phrases. La vie qui bat là comme un cœur qui pulse, c’est pas du roman. C’est de l’or noir qui coule des pages et gare à nous s’il finit dans nos veines !

     

    « Il n'y a pas plus de violence dans un cri d'hystérie que dans une phrase énoncée d'une voix calme et blanche. Être capable de regarder un adversaire droit dans les yeux et le mettre face à la vérité nue : le vrai pouvoir est là. »

     

    Nota bene : Si avec tout cela, ils sont pas foutus de me l’emprunter, je ne sais plus ce qu’il faut que je fasse !!

     

    ¤ ¤ ¤

     

    Serpentine - Mélanie Fazi -

    4ième de couv

    Une boutique de tatouage où l'on emploie des encres un peu spéciales. Une aire d'autoroute qui devient un refuge à la nuit tombée. Une ligne de métro où l'on fait d'étranges rencontres. Un restaurant grec dont la patronne se nomme Circé. Une maison italienne où deux enfants croisent un esprit familier... Tels sont les décors du quotidien où prennent racine ces dix nouvelles. Dix étapes, et autant de façades rassurantes au premier abord... mais qui s'ouvrent bientôt sur des zones plus troubles. Car les lieux les plus familiers dissimulent souvent des failles, écho de ces fêlures que l'on porte en soi. Il suffit de si peu, parfois, pour que tout bascule...

     

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  •  

    Mille grues de papier - Chantal Dupuy-Dunier -Ouvrir un recueil de poésies. Être nez à nez avec ça :

     « Sadako Sasaki, fillette leucémique irradiée à Hiroshima, tenta de plier 1000 grues de papier pour que, selon le proverbe, son voeu : "continuer à vivre" se réalise. Avant de mourir, sans dévier de son but, elle parvint à réaliser 644 de ces oiseaux hautement symboliques au Japon.

     Ce sont les enfants de sa classe qui confectionnèrent les origamis manquants afin de parvenir jusqu'à mille.

    A l'image de Sadako, j'ai « plié » 644 poèmes.

    Comme elle, je me suis arrêtée à ce chiffre afin de marquer l'impossibilité dans laquelle se trouve l'homme d'aller jusqu'au bout de ses projets, l'écrivain d'achever son œuvre. »

     

    Ne plus décoller les yeux des lignes, des blancs, des pleins et des points. Retenir son souffle. Accélérez la lecture pour faire naître les résonances dans notre oreille. Posez le rythme. Ralentir.

     

    Soufflez entre deux mots. Entre deux vers. Faire naître en nous les images et les graver dans notre esprit. Visualiser ces mille grues de papier, ces mille grues rêvées. Sadako et ses petits doigts blancs, fébriles face au décompte, déterminés face au projet. Vœu de vie.

     

    J'aimerai vous parler de Louis provençal aux galéjades à la Raimu, du nodule qui ronge l'espoir autant que le corps, des belles images de la mère, de sa solitude, du père « avant », des odeurs et des chants du pays et de cette armoire reléguée au couloir, esseulée elle aussi... des grues dans la ville, des oiseaux bengalis, du soleil rouge, de la neige d'origami et des talons aiguilles sur les heures du trottoir...

    644 grues orphelines.

    Mais je ne vous dirais qu'une seule chose.

    Ouvrez « mille grues de papier » ! Ouvrez-le !

     

    Mille grues de papier - Chantal Dupuy-Dunier -

    ¤ ¤ ¤

    Mille grues de papier - Chantal Dupuy-Dunier -

    4ième de couv

     

    Née en Arles en 1949, lauréate du prix Artaud, Chantal Dupuy-Dunier est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages, publiés notamment à la Bartavelle et aux éditions Voix d'encre. La collection Poésie/Flammarion a accueilli en 2009 son précédent recueil : Ephéméride.

    Il pleut,
    magie à laquelle nul ne s'attarde.

    Rien ne se crée,
    pas même la goutte d'eau,
    inlassable,
    traçant le même texte depuis des millénaires.

    "Il pleut des hommes."

    C'est sous les pieds des morts
    qu'elle est la plus limpide.

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  • "610


    Grues,
    qui peuplez la ville de vos bras levés,
    manifestantes obstinées,
    aiguilles de nos cadrans solaires urbains,
    sources d'ombres ajourées et mouvantes,
    vous tournez comme des phares
    et vos lumières rouges indiquent à la nuit
    où se trouve la nuit.

    611


    Grues,
    pauvres filles penchées,
    qui étiez comme moi des enfants,
    procession obstinée
    de vos talons aiguilles marquant les heures du trottoir
    entre deux "hombres",
    vous passez et repassez
    sous les lanternes rouges
    dans la nuit poisseuse."

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