• Profession du père - Sorj Chalandon -

    Profession du père - Sorj Chalandon -Je n'avais encore jamais ouvert un livre de Sorj Chalandon. Et il a fallu que ce soit celui-ci. Je ne sais pas encore comment je vais bien pouvoir m'y prendre pour vous livrer le choc qu'a été pour moi la lecture de Profession du père. J'ai parcouru les nombreuses critiques déjà écrites et je ne peux qu’acquiescer devant tout ce qui a déjà été dit.

     

    J'ai ri. J'ai ri à la lecture des premières pages de ce livre, devant certaines images du père comme celle-ci : "Lui l'évangéliste, le croisé charismatique, se disait bien au-dessus de Jésus. Dieu lui parlait. Mon père et Dieu, sans personne pour traduire. Il n'avait que faire d'une bouchée de pain sans levain, de prières en commun ou de genoux à terre."

     

    J'ai raconté les premiers chapitres, plaisanté sur ce début d'histoire, heure par heure dévidé le fil du nouveau délire du père d’Émile auprès de mon entourage, témoin privilégié (et bienveillant) de mes lectures du moment. Et puis, petit à petit... Je me suis tue. Je me suis tue, prise d'angoisse et de nausées, au piège de cette araignée qui doucement tisse, jour après jour, une toile qui englue cet embryon de famille, ce petit noyau social a minima : Père, Mère, Fils, "un animal et deux silences", acteurs d'une mascarade où les dés sont pipés et la règle du jeu, viciée.

     

    L'éclat de mes rires m'est resté coincé au travers de la gorge. Non ! Ce n'est pas, ce n'est plus drôle ! Cela pourrait être juste pathétique, s’il n’y avait au milieu de ce duo parental toxique, Émile, cet enfant qui comme beaucoup, voue une admiration sans borne à son géniteur : "Mon père, ce héros !"Profession du père - Sorj Chalandon -

     

    « - Tu comprends ?

    - Je comprenais. Bien sûr, je comprenais. A neuf ans, on comprend tout. »

     

    Non. Ce n'est même plus pathétique. C'est au delà de cela. C'est une enfance qu'on malmène et qu'on détruit.

     

    « J'avais du sang dans la bouche, de la peur partout. »

     

    C'est tout l'univers, l'innocence d'un enfant qui s'effondrent quand la violence s'invite et que la scène burlesque de tragi-comique glisse vers l'angoisse, le dégoût et la folie : avec les coups, l'enfermement, les sévices au bout. Le rideau se ferme pour nous, mais le tyran poursuit ses jeux pervers, continue à exercer son emprise.

    Même loin. Même vieux. Même mort.

     

    « Mes voix lointaines se réveillaient, mes légions de douleurs. Elles commençaient à geindre. »

     

    Point de salut possible avec de tels pervers, mais la fuite. Ni solution, ni miracle : les laisser dans leur dénuement intérieur et leur délire psychotique et fuir, fuir le plus loin possible en espérant que l'emprise psychologique ne soit pas trop forte et qu’il sera possible de déchirer la toile et maintenir le cap, pas à pas, vers la sortie de secours malgré les mirages, les embuscades, les flatteries et les menaces dont ils abreuvent leurs proies, pour mieux les ferrer et les asservir, anéantir.

    Profession du père - Sorj Chalandon -

     

    S’éloigner et ne jamais revenir pour ne pas voir ressurgir «une boule d'enfance dans le ventre. »

    « Et puis le silence. Je l'ai laissé entrer, avec sa sale gueule. Comme ça, pour voir ce qu'il adviendrait de nous. Un silence de poisse, de glu. Un silence de gêne, de honte, de rien à se dire. Un silence de bout de table, de fin du jour, un silence d'après nuit, un silence de regard baissé. »

     

    Comme le dit Sorj Chalandon dans cette présentation publique de son livre, quelle enfance merveilleuse cela aurait été, s'il n'y avait pas eu la violence...

     

    « La prison, c'était trois murs de trop. »

     

    ¤ ¤ ¤

     

    Interview de Sorj Chalandon, "C'est mon enfance, c'est ma vie, mais c'est un roman" :

     

     

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    Profession du père - Sorj Chalandon -

    4ième de couv

     

    Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider.

    Je n’avais pas le choix.

    C’était un ordre.

    J’étais fier.

    Mais j’avais peur aussi…

    À 13 ans, c’est drôlement lourd un pistolet."

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  • Commentaires

    1
    Mardi 5 Avril 2016 à 21:27

    J'ai adoré ce roman, une vraie claque littéraire... J'ai découvert cet auteur avec ce roman, et ai continué ensuite avec d'autres de ses récits. J'aime vraiment beaucoup.

      • Mardi 5 Avril 2016 à 22:19

        Ce fut une découverte pour moi aussi. Le quatrième mur m'attend et d'autres suivront. Je les attends...

        Je me relis et le mot mur (ce quatrième) fait écho à cette récurrence :
        "la prison, c'était trois murs de trop".

    2
    Mardi 5 Avril 2016 à 22:25

    Le quatrième mur m'a bouleversée. Ce mur qui protège, qui rend aveugle avant d'éclater...

      • Mardi 5 Avril 2016 à 22:34

        Cela va encore me bouleverser, je crois... Mais c'est aussi pour cela qu'on aime lire !

    3
    Ellane
    Mardi 13 Septembre 2016 à 14:29

    J'ai essayé de lire Le quatrième mur cet été. Peut-être que ce n'était pas la bonne période, ou peut-être que j'avais lu trop de livres qui m'ont beaucoup trop plu (V. Goby, A. Choplin, L. Trouillot, JL Seigle, et bien sur, Mia Couto :)). Le Sorj Chalandon est passé à la trappe, le deuxième livre de 2016 que je n'ai pas lu en entier... Vu vos commentaires, je réessaierai peut-être, plus tard.

      • Mercredi 14 Septembre 2016 à 11:47

        N'hésite pas à le lire, Ellane, je pense qu'il te plaira. Le dernier Goby a l'air vraiment très bien également. Et Mia Couto... ;-))

    4
    Ellane
    Mercredi 14 Septembre 2016 à 14:55

    Je réessaierai plus tard, pendant les vacances peut-être.

    Ce qui est bien avec Valentine Goby, c'est qu'elle écrit beaucoup (y compris pour les enfants, faut que je fasse essayer aux miennes à l'occasion) ; Le paquebot dans les arbres me tente, mais j'en ai déjà plein à découvrir.

    J'ai découvert plein de belles lectures ces derniers mois ; parmi celles-ci (j'imagine que tu n'en manques pas mais au cas où :)), je pense que te plairaient :

    - "La nuit tombée", d'Antoine Choplin (c'est mon auteur "chouchou" en ce moment, j'emprunte systématiquement un de ses livres à la médiathèque quand j'y vais!)

    - "La belle amour humaine", ou "Parabole du failli", de Lyonel Trouillot (un auteur haïtien avec une écriture riche, sensible et colorée, foisonnante, qu'on lit presque d'une traite tellement on est immergée dans le livre... j'ai même raté une station de métro à cause de "Yanvalou pour Charlie !")

    - "En vieillissant les hommes pleurent", de Jean-Luc Seigle (un auteur qui compte peu de titres aujourd'hui, à ma plus grande frustration), qui m'a beaucoup touchée

    Quant à Mia Coutou, j'essaie de savourer pas trop vite ses œuvres traduites ; j'ai lu cet été "La confession de la lionne", c'est toujours aussi beau, magique, tragique, drôle et savoureux, et "La véranda au frangipanier" me fait de l’œil sur l'étagère de ma bibliothèque ; enfin, j'ai également beaucoup pensé à toi en lisant "Il pleuvait des oiseaux", de Jocelyne Saucier, d'abord parce que je trouve le titre magnifique, et puis aussi parce que je crois que ça te plairait, parce que c'est drôle, tendre, et puis qu'on ne parle pas souvent d'amour et de la vie de nos vieux !

    Bonnes lectures (je me suis abonnée à ton blog, ça me permettra de découvrir tes billets du moment !), à bientôt.

      • Vendredi 16 Septembre 2016 à 10:02

        Merci Ellane pour ce long commentaire (et ton abonnement à mon blog wink2)

        Je suis ravie de découvrir tes lectures. Antoine Choplin est un auteur qui est dans ma PAL, avec la "nuit tombée". Je ne vais pas tarder à l'ouvrir, il m'avait été aussi conseillé et si tu l'apprécies tant, je ne devrais pas être déçue !
        J'aimerai bien lire le dernier Goby : je vais aller le réserver ce week end à la médiathèque, avec dans les mains, la liste des livres que tu me conseilles. Avec un peu de chance, je pourrais en trouver quelques uns de dispo.

        J'ai fait lire Mia Couto à quelques amis : tous l'ont adoré ! C'est vraiment un auteur fantastique. Il nous fait passer d'un sentiment à l'autre sans artifice, ni lourdeurs de style... Comme la rivière dans "l'accordeur de silences", tout coule, naturellement, inexorablement et nous emporte...

        J'ai fini la semaine dernière "les putes voilées n'iront jamais au paradis !" de Chahdortt Djavann (ma critique devrait suivre, mais je laisse reposer ma colère et mon indignation, pour essayer de "comprendre" si tant est que cela apaise...) : ce livre est bouleversant et magnifique, et cette fin... ce vœu de vie et d'espérance laissé par l'auteure, là où il n'y a pas d'issue favorable à espérer (je n'en dis pas plus, pour ne rien dévoiler) : c'est admirable ! Admirable de courage, d'esprit et de respect pour ces femmes si nombreuses, "putes" parfois que par le seul fait d'être belles... Je lirai d'autres livres de cette auteure. Si tu ne l'as pas lu, je ne peux que te conseiller ce livre. Il est dur, dérangeant, mais nécessaire...

        Bonnes lectures à toi également, Ellane...

        A bientôt.

        PS : Connais-tu Lhasa de Sela ? Je lui avais consacré un billet.

         

    5
    Ellane
    Mardi 20 Septembre 2016 à 10:01

    Bonjour Lisa,

    Merci d'avoir répondu à mon long commentaire, et d'alimenter ce blog, ce qui me permet d'alimenter à mon tour ma PAL. Ce qui est marrant, c'est que, par exemple, "Les cercueils de zinc" et "Les putes voilées n'iront jamais au paradis" sont dans mon pense-bête depuis longtemps :-) Du coup, je revois un peu ma priorisation de lecture et j'ai réservé à la bibliothèque le deuxième (celui d'Alexievitch est disponible, dans la section "Histoire") !

    Moi aussi, je fais découvrir Mia Couto autour de moi, mais l'accueil est plutôt mitigé. Au pire, c'est "je comprends rien", au mieux, c'est "oui, bon, c'est une jolie fable". Faut que je change d'amis et de famille :-)))

    Pour la nuit tombée, oui, je suis tombée moi sous le charme. J'ai découvert A. Choplin avec "L'incendie", qu'il a co-écrit avec Hubert Mingarelli (j'aime bien cet auteur qui écrit des romans presque nouvelles avec de vraies atmosphères !). Ca faisait longtemps que je n'avais pas lu de roman épistolaire, et j'avais beaucoup apprécié, sans pour autant arriver à faire la part de ce qui était écrit par chacun (en même temps, ce n'était pas l'objectif !).

    J'ai fini hier soir "Des corps en silence", de V. Goby. A lire uniquement si tu as le moral et que tout va bien dans ton couple... Il n'est pas encore disponible à la bibliothèque (il est en "traitement", le pauvre !). Je vais surement me laisser tenter par "La fille surexposée", s'il est dispo.

    Pour le moment, je finis tranquilou le roman policier suédois que j'ai commencé il y a presque un mois (faut dire que c'est lent, vraiment lent... parfait pour tomber dans les bras de Morphée le soir !), et attends avec impatience le livre "gagné" sur le site chronophage de critiques de livres : j'en ai coché un, et je vais recevoir "Histoires révérées", d'un certain Mozambicain blanc, scientifique et écrivain. Comme dirait ma fille "T'as trop d'chance" ! :-)

      • Mardi 20 Septembre 2016 à 19:12

        Oui ! Trop d'chance ! Tu vas les avoir tous lus ? C'est bien, il te revenait "de droit" celui-ci. Hâte de lire ton avis !

        Bon, ne change pas d'amis ou de famille : j'en ai aussi certains qui n'ont pas voulu le lire, mais ceux qui l'ont lu (3) ont aimé Mia Couto !

        C'est quoi ce policier suédois ?! Moi, j'ai le dernier tome de Läckberg qui m'attend, j'espère que ce n'est pas celui-ci qui t'endort ! ;-)) Sinon je suis mal partie...

        A bientôt Ellane et merci pour tes passages et tes commentaires... (Tu alimentes ma PAL également... Ce sont des vases communicants, je crois. Ces PAL ont une vie propre, je te le dis ! ;-))

    6
    Ellane
    Mercredi 21 Septembre 2016 à 14:31

    Je n'ai jamais lu de C. Läckberg, malgré leurs belles couvertures qui donnent envie dans les rayons romans policiers. A vrai dire, je n'ai jamais lu de "roman policier scandinave" comme on dit, de peur de les trouver trop longe/lents et de m'ennuyer  (à part Millenium, qui est parait-il atypique, et "Les enquêtes du Département V", dont l'auteur est danois et les histoires pleines d'humour). C'est bien, Läckberg ? Je viens de finir "Le sang versé", d'Asa Larsson et ce n'est typiquement pas le genre de livre que j'apprécie. Pendant le 1er tiers du livre (150 pages tout de même), il y a une dame qui est dans une réception, et puis qui décide de dormir dans un chalet attenant à la forêt au milieu de nulle part. Ouais... ça fait pas beaucoup quand même :-))

    Quant à la PAL, non seulement elle a une vie propre, mais surtout elle est en phase de croissance constante !

      • Jeudi 22 Septembre 2016 à 07:34

        J'aime bien Läckberg, seuls un ou deux tomes m'ont déçus... J'ai le quatrième tome de Millenium (écrit par un autre) à lire, j'ai peur d'être déçue, alors je ne l'ai pas encore ouvert. Mais cela viendra. Les avis sont assez bons.

        Ah oui, 150 pages tout de même pour ça ! Je comprends ta douleur ! ;-)) Tu me diras, si cela t'a aidé à t'endormir... ;-)

    7
    Ellane
    Vendredi 23 Septembre 2016 à 16:55

    Alors, Le sang versé, juste avant de dormir, c'est magique : on n'a pas le temps de lire 10 pages qu'on a les yeux qui se ferment tous seuls ! (oui bon, en même temps, ce n'est pas forcément ce que l'on demande à un roman policier :-))

    Pour changer un peu mais toujours dans le registre policier, j'ai commencé "Monestarium", d'Andréa H. Japp. J'aime bien cet auteur qui fouille bien ses personnages féminins, et qui a une plume élégante et intime. Ce livre-ci se passe au moyen-âge, dans un monastère (vu le titre, hein... forcément !). Une sœur est retrouvée morte, assassinée, dans un couvent. Du coup, l'intrigue se déroule sous forme de huis-clos (j'aime bien ça). Le vocabulaire, les tournures de phrases et le déroulement des actions quotidiennes "font" très moyen-âge. Du coup, c'est reposant, dépaysant, pas très compliqué et pas trop mal écrit. Une lecture détente qui change un peu !

      • Vendredi 23 Septembre 2016 à 17:13

        Je n'ai jamais lu Japp. Mais ce sera à découvrir, vu qu'en ce moment je suis "partie" dans le moyen-âge : Le grand livre de Connie Willis et la série "les piliers de la terre"... Je me prépare pour ma reprise de la Paléo. ;-))

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