• Partie 3 : Kévin part pour Rouen. Il fait ses adieux à sa collègue et amie...

    — Tu crois qu’ils vont te libérer rapidement ?
    — On m’a conseillé de passer au moins le premier mois en immersion, donc j’ai le choix. Mais bon, c’est plus simple pour tout le monde si je reste sur place pour me familiariser avec les lieux et les personnes qui y bossent. Ensuite, rien ne m’empêchera de disposer de mes jours de repos comme je le veux. Mais faut pas rêver quand même, je n’aurai pas plus d’un week end par mois.
    — T’es fou ! Moi rien que pour cela, je n’aurai jamais signé !
    — Mais je n’ai rien signé. Tu sais comme moi qu’on ne signe jamais rien avant…
    — Bon, y a au moins un côté positif, c’est que tu vas pouvoir enfin profiter de tes nuits ! dit-elle avec un sourire moqueur aux lèvres.
    — Si tu savais…
    Et ils rient de bon coeur tous les deux.
    Non. Sans rire. J'ai adoré travailler la nuit. C’est quelque chose qui va me manquer. La nuit, tout est différent, Mumu, les lieux et les gens sont plus « crus », plus « vrais ». On les aborde plus facilement alors qu'ils nous semblent souvent bien plus différents de nous. Ça a quelque chose de contradictoire ce que je dis là, non ? Mais en même temps, on est tous dans le même bateau : celui de ceux qui sont debout alors que tous les autres dorment…
    — Et bien si c’est ce que tu veux, j’espère que tu passeras toutes tes nuits à bosser, avec une tonne de documents et de comptes rendus à finir pour le lendemain.
    — Tu vois, tu te moques ! Je suis réaliste, tu sais. Je vais être obligé de me remettre dans le bain. Je ne me fais pas trop d’illusions, je vais avoir un emploi du temps pas trop varié qui n’aura rien à envier aux horaires de bureau. J’espère au moins que ce ne sera pas tous les jours la même chose, sinon je risque de devenir dingue !
    — Tu me fais rigoler ! Tu feras comme les autres : tu t’habitueras. Et si t’en as vraiment marre, et bien tu reviendras parmi nous.
    — Ne rêve pas trop ! D’ici là tu seras plus là, c’est moi qui te le dis ! A la vitesse où ils ferment les brigades, y aura plus personne ici quand j’aurai fini ma formation.
    — J’entendais déjà cela quand je suis rentrée dans la boutique, dans les années quatre vingts dix. Alors tu vois, c’est pas nouveau.
    — Sauf que là, ça y est, on y est ! Tu vas finir toute seule dans ton petit bureau, ma pôv Mumu ! Méfie toi, vont t’embarquer avec les meubles !
    — Qu’ils essayent. Ils vont m’entendre parler du pays ! Tu vois bien, c’est pas pour moi, les réformes. Trop vieille !
    Et ils partent tous les deux d’un grand éclat de rire, les larmes aux yeux et les abdos en souffrance.
    — Au moins, cela nous aura fait rire ! Bon, c’est pas le tout, mais faut que j’y aille ! Encore les derniers cartons à faire et direction le garde meuble !
    — Tu as trouvé à te loger ?
    — Ils m’ont affecté une chambre dans leur centre. Enfin ils appellent ça “une studette”. Et oui, Madame, logé aux frais de la princesse !
    — Tu as rendez-vous à quelle heure demain ?
    — 9H00. Et j’ai un programme assez serré pour la semaine. Présentation  de la formation, les enjeux, les points de contrôle et les différents niveaux de certification…, enfin bon je t’épargne le topo, tu le connais tout aussi bien que moi. Je devrais être dans le bain dès le départ pour être opérationnel rapidement. Et au bout d’un an, ce sera parti. Je serais seul aux manettes. Tu vas être tranquille un bon bout de temps, va ! T’es pas prête de me revoir avec tout cela. Allez, redis moi encore que je vais te manquer. Tu n’auras plus ton souffre douleur préféré pour pouvoir tester tes créations culinaires, exposer tous tes petits soucis et te plaindre de ton ex mari et de tes enfants chéris. C’est pas humain…
    Et les revoilà partis à rire comme des gosses.
    — T’as le temps de prendre un dernier café avant de partir ? J’ai mis en route la cafetière avant que tu arrives. Il devrait être fini depuis le temps qu’on bavache.
    — Allez va pour une tasse.
    Muriel revient avec deux mugs fumants dans les mains. L’odeur de l’arabica emplit toute la pièce ; Kévin la laisse envahir ses narines. Il sait que ce rituel va lui manquer. Que Mumu va lui manquer. Ses conversations à la con aussi. Mais c’est comme ça. C’est la vie.
    Ils sirotent le précieux breuvage du bout des lèvres, de peur de se brûler, reposent chacun leurs tasses en attendant qu’elles refroidissent un peu. Muriel regarde Kévin et ne peut s’empêcher de lui poser la question qui la taraude depuis le début :
    — Tu sais pourquoi ils t’ont choisi toi ? Enfin, je veux dire, ne le prend pas mal. Dis comme cela, ça peut avoir l’air de dire que je trouve cela curieux ou qu’ils se sont plantés. C’est pas ce que je veux dire. Mais quand j’en vois certains qui se préparent parfois depuis des lustres pour décrocher ce genre de boulot, apprenant des listes interminables de tout et n’importe quoi, au cas où, je me demande bien comment t’as fait. Et pourquoi ils t’ont choisi toi et pas un autre ?
    — Je n’en sais rien ! Et je te dirais que je ne me suis pas posé la question un seul instant ! Y a que toi, Mumu, pour te demander ça… Ils m’ont contacté en me disant que mon profil les intéressait. J’ai assisté à une réunion d’information où ils présentaient le centre, les cours et les certifications proposées ainsi que les postes offerts aux lauréats. Cela m’a tout de suite plu. Je me suis inscrit aux entretiens et examens de sélection. Je te dirais que je ne m’en suis pas fait un monde. J’ai joué le tout pour le tout, répondu aux questions qu’ils m’ont posées et puis voilà ! J’ai décroché le sésame !  Quand ils m’ont parlé de prendre un congés formation pour être assuré de pouvoir retourner dans mon ancien boulot en cas d’échec, j’ai accepté. Cela m’a semblé tout bénéf ! J’ai rien à perdre. Si cela ne fonctionne pas ou que je ne m’y retrouve pas, et bien je retournerai parmi vous ! Et puis, faut être honnête, c’est une sacrée opportunité pour moi. Je n’en rêvais pas de cette formation, vu que je ne savais même pas avant de passer les sélections qu’elle existait. Mais cela m’a paru normal d’accepter. Utile. Oui, c’est cela. Ça m’a semblé utile. Maintenant j’y suis. Enfin, demain j’y serais. En attendant tu me promets d’être sage, hein ? Et ne va pas martyriser mon remplaçant !
    Kévin se pencha pour embrasser affectueusement sa collègue et amie. Trop émus tous les deux, ils se réfugièrent chacun derrière leur mug, sirotant un café plus très chaud depuis un moment déjà.
    — Plus qu’une seule journée pour préparer mes dernières affaires, boucler mon déménagement et dés demain, je saurais réellement ce qui m’attend. Je te tiendrais au courant. Ne t’inquiète pas plus que ça pour moi. Tu me connais. Je suis comme les chats : je retombe toujours sur mes pattes.
    Il reposa sa tasse vide sur un coin de bureau, embrassa une dernière fois, rapidement, son amie et ne tarda pas à enfiler son manteau. Les adieux n’ont jamais été faciles pour lui. Alors autant ne pas les faire durer…
    — Allez. Je me sauve. Si je continue comme cela, je serais encore là ce soir et je n’aurai toujours rien fait ! Te bile pas. Va ! Tout va bien se passer. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter pour moi.
    Et il partit rapidement, sans se retourner. Triste et heureux à la fois. “On sait ce qu’on quitte mais on ne sait pas ce qu’on trouve !”

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