• Les passeurs de livres de Daraya - Delphine Minoui -

    Les passeurs de livres de Daraya - Delphine Minoui -J'ai lu ce livre il y a déjà un mois. Que de temps passé avant de venir vous en parler ! Ce n'est pas que je ne trouve pas les mots. C'est que j'aurai souhaité vous en parler autrement. Impossible. Tout a déjà été dit. Ou presque... 

    Ce n'est pas que je n'ai pas envie d'aborder cette thématique si forte, de la littérature, de la lecture qui sauvent les hommes, de cette formidable entreprise qui consiste à construire une bibliothèque sous les bombes, avec les livres extraits des décombres, des flammes... Décrire à quel point, ce lieu de culture et de loisirs devient ici un lieu de survie, de résistance, une petite bulle protectrice où se poser pour reprendre pied, continuer la lutte, rêver à un pays libre et éclairé... jusqu'à devenir un symbole. Non, ce n'est pas cela.

    C'est que j'aimerai évoquer Shadi, Ahmad, Omar, Hussam, les femmes de Daraya et tous les autres qu'on nous présentent la plupart du temps comme des terroristes vivants dans l'obscurantisme et dont la seule motivation serait de détruire le régime de Bachar-al-Assad pour instaurer une gouvernance religieuse et intolérante. Ces dangereux rebelles qu'il faut à tout prix écraser dans un conflit qu'on évoque le plus souvent uniquement comme une guerre contre le terrorisme. 

    Delphine Minoui évoque de front cette question  avec Ahmad :

    "La question djihadiste me taraude. A Damas, la télévision pro-régime Al-Dounia ne cesse de proférer la même rengaine : Daraya est un nid de terroristes. Il faut les éliminer. En découdre pour de bon. Le mensonge d'Etat, fidèle à la fabrication d'un récit officiel, ne fait aucun doute. Je souhaite pourtant en avoir le cœur net : la banlieue de Daraya héberge-t-elle, oui ou non, des terroristes islamistes, fussent-ils en minorité ?"

    La réponse d'Ahmad est honnête et lucide. Si la jeunesse s'est laissée séduire dans un premier temps par cette idée de "l'islam comme étendard, une façon de dire non à un régime castrateur", elle a pour la plupart vite découvert le vrai visage sous le drapeau noir : les attentats-suicides, la terreur imposée dans les territoires tombés sous leur contrôle, l'assassinat de combattants de l'Armée syrienne libre, ... 

    Dans les passeurs de livres de Daraya, je ne les ai pas trouvés, ces djihadistes ivres de Dieu. J'ai découvert de jeunes hommes qui se battent, pas seulement "contre", mais pour :

    - pour le droit de s'exprimer et de vivre autrement ; 
    - pour la liberté - celle de penser, de dire, d'apprendre, lire et enseigner autre chose que ce qui est convenu et étiqueté politiquement acceptable par le système ;
    - pour l'instauration d'une démocratie et donc pour une révolution - politique, culturelle, sociale... ; 
    - vivre autrement, puis vivre tout court ;
    - ...

    Je ne suis pas en train de vous dire que Daraya est pure de tout terroriste islamiste. Je vous fais partager cette découverte bouleversante de ces jeunes en lutte, de ces 47 femmes signant cette missive collective : cri de détresse lancé à la face du monde occidental qui s'en fout, noyé dans ses propres préoccupations et qui regarde tout cela de bien loin...

    JE regardai tout cela de bien loin. Maintenant, je ressens les choses autrement. J'essaie de ne pas tomber dans la pensée unique, de ne pas laisser ce voile de l'esprit tomber devant mes yeux pour enfin essayer de penser différemment ce conflit. Les passeurs de livres de Daraya - Delphine Minoui -Daraya n'est qu'à une dizaine de kilomètres de Damas, la Syrie, aux portes de la Turquie où vit Delphine Minoui - quelle femme et quelle journaliste ! Qu'il serait salutaire qu'on donne à de telles personnes la parole plus souvent, autrement que brièvement sur la 5 ou Arte. Si vous ne devez lire que quelques pages des passeurs de livres, lisez les pages 92 à 95. Elles touchent au cœur, à un essentiel. Je les publierai sur mon blog. Plus qu'une citation, ce sera un extrait. Tant pis. Je ne force personne à le lire. 

    Ce leitmotiv de Bachar-al-Assad - "Moi ou le Chaos" -, je ne veux plus le voir comme la moins mauvaise des solutions à ce conflit. Je veux le voir comme ce qu'il est réellement : une carte blanche laissée au tyran pour anéantir tout ce qui s'oppose à lui. Fût-ce son propre peuple...

    De Daraya, ce sont ces images-là que je veux conserver en mémoire, a-t-il insisté. Celle d'un groupe uni, soudé. D'une envie commune de construire l'avenir. De défendre de nouvelles idées. Nous ne faisions qu'un. Une ambiance de solidarité, de camaraderie. Une expérience unique qui aurait pu servir de modèle à d'autres villes. Daraya, ce n'est pas seulement un lieu, c'est un esprit.


    Disponible en replay sur France5 ou sur Youtube

    ¤ ¤ ¤ 
    4ème de couv : 

    De 2012 à 2016, la banlieue rebelle de Daraya a subi un siège implacable imposé par Damas. Quatre années de descente aux enfers, rythmées par les bombardements au baril d’explosifs, les attaques au gaz chimique, la soumission par la faim. Face à la violence du régime de Bachar al-Assad, une quarantaine de jeunes révolutionnaires syriens a fait le pari insolite d’exhumer des milliers d’ouvrages ensevelis sous les ruines pour les rassembler dans une bibliothèque clandestine, calfeutrée dans un sous-sol de la ville.

    Leur résistance par les livres est une allégorie : celle du refus absolu de toute forme de domination politique ou religieuse. Elle incarne cette troisième voix, entre Damas et Daech, née des manifestations pacifiques du début du soulèvement anti-Assad de 2011, que la guerre menace aujourd'hui d'étouffer. Ce récit, fruit d'une correspondance menée par Skype entre une journaliste française et ces activistes insoumis, est un hymne à la liberté individuelle, à la tolérance et au pouvoir de la littérature.

    Delphine Minoui est grande reporter au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient. Prix Albert Londres 2006 pour ses reportages en Iran et en Irak, elle sillonne le monde arabo-musulman depuis 20 ans. Après Téhéran, Beyrouth et Le Caire, elle vit aujourd'hui à Istanbul, où elle continue à suivre de près l’actualité syrienne. Elle est également l'auteur des Pintades à Téhéran (Jacob-Duvernet), de Moi, Nojoud, dix ans, divorcée (Michel Lafon), de Tripoliwood (Grasset) et de Je vous écris de Téhéran (Seuil).

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