• Une fatalité du bonheur - Philippe Forest -L'enfance nous apparaît comme un "paradis perdu", qui n'existe que comme le rêve qu'en font les adultes. Et c'est un rêve très ambivalent, qui idéalise l'enfance, mais la fait exister de manière fantomatique puisque nous sommes tous en deuil de l'enfant que nous avons perdu - et qui, parfois, est l'enfant que nous avons été.

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  • Remonter l'Orénoque - Mathias Enard -De quoi pourrait-elle fuir, elle emporte tout avec elle, les mains sur son ventre, les trois livres auxquels elle tient dans sa valise et les souvenirs - spectres, fantômes, plaisirs et douleurs - bien serrés dans son cœur tout près de la soudaine angoisse qui l'étreint au plus profond de ce bateau, dans la chaleur moite d'une journée du tropique.

    Cette ville qu'elle quitte, c'est une lame, refermée sur elle-même. Elle en a la beauté fine, le long profil, du phare aux murailles. Jusqu'à la couleur du métal, le reflet de l'eau sur les immeubles. C'est un péril replié. Elle referme ses mains sur son ventre.

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  • Crépuscule du tourment 2 - Léonora Miano -

    Lorsque nous n'en pourrons plus d'avoir tant projeté alentour la figure de nos spectres intérieurs, lorsque nous serons saturés de nos propres abaissements, nous retrouverons la flamme. Celle qui réchauffe. Celle qui éclaire. Toute splendeur est en nous. Pour l'heure, nous sommes des trous noirs.

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  •   l’Homme qui mit fin à l’Histoire - Ken Liu -Je dois la découverte de ce petit livre d’un peu plus de cent pages à Aelinel, que je remercie encore pour cela. Pour tout vous dire, avant de lire sa chronique sur l’Homme qui mit fin à l’Histoire, j’ignorais tout de l’Unité 731 et des horreurs qu’elle a perpétuées sur une décennie, entre 1936 et 1945. Je ne vais pas m’étendre sur le détail des faits, car ce n’est pas là le propos du livre ; Ken Liu l’évoque, mais avec beaucoup de retenues : le but est de faire connaître, d’éveiller ou de réveiller les consciences par rapport à cet événement tragique et maintenu sous silence mais en aucun cas d’éditer un catalogue des horreurs rivalisant avec le pire des exactions nazies en ce domaine. Le peu qui est décrit laisse mesurer le degrés de cruauté et d’inhumanité...

     l’Homme qui mit fin à l’Histoire - Ken Liu -J’ai trouvé essentiel la manière dont l’auteur aborde ce fait historique : les questionnements multiples et pertinents sur cette inhumanité de l'homme, sur ce qu’est l’Histoire, le rôle du témoin, la force de la raison d’État qui balaie et broie les individus, éteint toute possibilité de réparations et de justice, là où même le souvenir est annihilé : Table rase sur le sujet et malheur à qui remontera toute cette fange à la surface des consciences et du présent !

    Pourtant, c’est ce que va entreprendre un couple de scientifiques (lui, d’origine chinoise, elle japonaise), en inventant une machine capable de remonter le temps et en permettant aux familles des disparus d’assister au déroulement des faits sur les lieux mêmes, comme on regarderait une scène en train de se jouer. Mais malheureusement, tout passé vécu est un passé perdu...

    En cherchant à donner une voix aux victimes d'une terrible injustice, il n'avait guère réussi qu'à en réduire certaines au silence, à jamais.

    J’ai aimé ce choix du témoin « proche », impliqué dans cette recherche de la vérité historique au détriment de l’expert, de l’historien ou du juriste assermenté. Je l’ai ressenti comme la volonté de replacer au cœur du débat, l’individu, la personne même, dans une société où l’homme n’est que secondaire, effacé et balayé par « le système », la raison d’État et sa machine à broyer les consciences…

    La souffrance des victimes relève-t-elle du domaine privé, ou participe-t-elle de notre histoire collective ?

    Beaucoup de questions se posent face à ce choix : quelle valeurs accordées au témoin et à son témoignage ? Quelle vérité peut-on espérer de personnes qui ne pourront-être neutres car forcément partiales ? Maîtriser les faits historiques avec ce voyage temporel, n’est-ce pas le meilleur moyen de mettre fin à l’Histoire et à toute découverte de la vérité historique ? Et ainsi faire la part belle au négationnisme ?

    Trop longtemps, nous tous, historiens compris, avons agi en exploiteurs des morts. Mais le passé n'est pas mort. Il est avec nous. Où que nous allions, nous sommes bombardés de champs de particules de Bohm-Kirino qui nous permettent de voir ce passé, comme si on regardait par la fenêtre. L'agonie des morts nous accompagne. Nous entendons leurs cris. Nous cheminons parmi leurs fantômes. Impossible de détourner le regard, de se boucher les oreilles. Il nous faut témoigner ; il nous faut parler pour ceux qui ne le peuvent pas. Nous n'avons qu'une occasion de le faire.

    J’ai eu plus de mal avec la forme qui a pour moi, tout du moins au début, maintenu le récit à distance, même si je reconnais qu’elle offre à Ken Liu « une neutralité » qui lui permet d’aborder sans transition, différents points de vue en laissant la parole à une diversité de protagonistes.

    Et pour finir : la couverture est magistralement belle...

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  • Crépuscule du tourment 1 - Léonora Miano -Il faut que nos aïeules aient failli pour que leur voix ne porte plus. Pour qu'elles aient été abaissées au rang de servantes. Pour qu'elles n'aient plus existé qu'à travers la maternité, à condition, d'ailleurs, de mettre au monde des enfants mâles. S'il y eut de leur part une faute, elle nous est inconnue, mais nous en supportons le châtiment depuis des générations. De l'aube à l'aube, mortes nous-mêmes en esprit, nous ne faisons que veiller sur les dépouilles. Enfin, celles d'entre nous qui veillent encore. J'ai quant à moi pris un congé bien mérité, le repos de la guerrière. Le mort-vivant qui longtemps remua en ces murs a trouvé un ailleurs où traîner ses chaînes rouillées l'insanité de sa présence au monde. Je ne lui reproche pas  son état, mais à lui comme à ses congénères, j'en ai voulu de s'y être accoutumé. Ci-gisent les descendants de ceux qui se laissèrent ravir la voie, ceux qui se laissèrent subjuguer. C'est ainsi qu'ils furent défaits, et nous avec eux. Je ne parle pas d'or, d'argent, de pétrole. Je parle du sens et de la valeur donnés à sa propre existence. Je parle de ce qui ne peut être récupéré qu'au prix de luttes sans concession avec soi-même.

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